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plus manifestement la résolution de rompre avec les mœurs, lois et usages de l’humanité, la prétention d’appartenir à une autre espèce, titanique ou démoniaque, avec laquelle l’humanité n’a rien de commun.

Que l’Allemagne s’étonne encore, dans ces conditions, d’avoir suscité la haine du monde entier, qu’elle considère, avec le maréchal von der Goltz, celle unanimité de haine comme une énigme, n’y a-t-il pas là encore une autre preuve, singulièrement significative, de l’abîme par lequel elle s’est séparée elle-même du reste du monde ? Dans la doctrine et le système qu’elle avait adoptés, l’Allemagne s’est condamnée, s’est vouée aux plus mauvais rôles. Elle représente, comme dans le Faust de Goethe, l’esprit du mal, l’esprit qui nie (der verneinde Geist). Ajoutez : l’esprit qui ment. Tout en se proclamant supérieure et victorieuse, l’Allemagne, en effet, ne compte jamais sur la vérité. Si elle a organisé dans le monde une propagande universelle, c’est pour y répandre, non la vérité, mais le mensonge. Et, comme il arrive à celui qui ment, force lui est de se contredire sans cesse. Au début de la guerre, c’est la Russie qu’elle accuse de l’avoir provoquée. Au bout de quelques semaines, c’est l’Angleterre qui est considérée comme la provocatrice, et qui, à ce titre, doit être, suivant la devise allemande, punie de Dieu (Gottstrafe England). A l’égard de la Belgique et de la violation de la neutralité, mêmes variations. Le premier jour, M. de Bethmann-Hollweg et M. de Jagow reconnaissent, l’un devant le Reichstag et l’ambassadeur d’Angleterre, l’autre devant le ministre de Belgique, que l’Allemagne a, en effet, manqué au droit des gens, et violé le traité, mais que c’est la nécessité qui l’a poussée et que nécessité n’a pas de loi. Puis ils se ravisent, ils découvrent dans de soi-disant documens d’archives que c’est la Belgique qui a elle-même violé sa neutralité en faisant appel à l’Angleterre. Le chancelier de l’Empire non seulement ne craint pas de se contredire, mais il revient sans cesse sur le sujet, comme un malfaiteur qui rôde autour du lieu de son crime. Quand il essaie d’évoquer l’histoire, quand il rappelle les négociations engagées avec l’Angleterre pour la limitation des armemens navals, pour un engagement préventif de neutralité, il altère les textes, intervertit les rôles et calomnie le co-négociateur qu’il n’a pas réussi à duper. Ses discours au Reichstag forment, depuis le 4 août 1914 jusqu’à la date présente,