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peine... Nous serions heureuses si nous pouvions souffrir pour vous, à notre tour... Mais vous servir est notre plus douce joie.

Être là, avec eux, tandis qu’ils prennent l’assiette de bouillon ou la tasse de café, les écouter, les regarder, savoir qu’ils sont bien, qu’ils sont contens assis là, près de nous, à cette table, aimer leurs propos naïfs, qui font tout à coup surgir devant nous leur épopée, deviner la souffrance qu’ils ne veulent pas dire... sentir qu’ils retrouvent en nous, dans nos voix, dans nos gestes, quelque chose des femmes qui leur sont chères... Vous qui nous remerciez avec une si jolie courtoisie, vous ne savez pas combien vous nous donnez...

Je revois ce soldat déçu, lorsqu’il découvrit qu’il n’avait plus de train pour Annemasse, qu’il devait passer la nuit à Ambérieu et perdre ainsi douze heures « de la maison. » Lorsqu’il se trouva installé dans la petite salle chaude et bien éclairée, il se consola un peu. Il revenait des Dardanelles. Tombé malade là-bas, il fut évacué sur un navire-hôpital. Après sa permission, il retournera à son dépôt.

Ce paysan de Savoie essayait d’évoquer ses impressions d’Orient. Il disait :

— J’ai fait un beau voyage que jamais je n’aurais pu me payer ! Je ne regrette pas !

Et il essayait de décrire les pays qu’il avait vus. Il disait :

— Les levers de soleil et les couchers de soleil sur la mer, c’était magnifique ! Le soleil semblait plus gros qu’ailleurs. Et la mer, à mesure qu’on avançait, était d’un bleu différent : bleu foncé, et puis bleu bleu, et puis plus pâle, toute claire.

Les mots lui manquaient. Il cherchait. Il tâchait de dire ce qu’il avait vu.

— Là-bas, la terre était comme grasse. Il y avait des oliviers comme dans le Midi...

Une nuit, ils avaient couché dans un champ de thym. Ils étaient tout parfumés. Il parlait aussi des cimetières turcs qui l’avaient beaucoup étonné, parce qu’il n’y avait pas de croix. Et il décrivait les fontaines où l’eau était si bonne... ces fontaines qui jouent un si grand rôle dans un pays où l’habitant ne boit pas de vin ! Le brave Savoyard n’en revenait pas de la sobriété des Turcs... Et pourtant ils sont forts. Ils se battent bravement. Ils vont à l’assaut en plein jour et les mitrailleuses les fauchent.