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avait en vue le rôle commercial de la marine marchande. Il avait compris l’importance qui s’attachait pour un Etat, dont les frontières terrestres étaient momentanément fermées, à jouir de la liberté de la mer et à continuer à échanger ses produits contre ceux de l’étranger, tout en assurant les relations de la métropole avec ses colonies. Cependant, Richelieu ne pouvait pas se douter qu’un jour les vaisseaux marchands, arborant la flamme en tête de mât, combattraient côte à côte avec ceux de la marine nationale. Car aux vieilles formules concernant la collaboration de la flotte de commerce avec la flotte de guerre, se sont ajoutés des plans nouveaux de coopération étroite. Il se produit ce phénomène singulier : nos dreadnoughts, sur lesquels nous avons accumulé les armes les plus perfectionnées, restent inutilisés dans les ports, et ce sont des bâtimens, nullement préparés à cette tâche : des chalutiers, des remorqueurs, des paquebots qui mènent la chasse contre les sous-marins ennemis et nous débarrassent des mines automatiques que les Allemands sèment à l’entrée des ports. Pendant qu’un cuirassé de 23 000 tonnes, comme le Courbet, qui possède 12 pièces de 30 centimètres, 22 canons de 14 centimètres et 4 tubes lance-torpilles séjourne au mouillage de La Valette, de Bizerte ou de Toulon, attendant un adversaire qui ne se présente jamais, l’équipage du chalutier Nord Caper monte à l’abordage d’une felouque turque, le pauvre cordier Jésu-Maria saute sur une mine dormante, le croiseur auxiliaire Indien disparaît en mer, et la Provence entraîne au fond de la mer une moisson de vies humaines.

Les conditions de la guerre navale sont complètement métamorphosées. Contrairement à ce que l’on escomptait, il ne s’est pas produit de choc entre les escadres adverses ; il n’y a pas eu de batailles rangées en lignes parallèles ; les canons gardent le silence dans les tourelles des lourds mastodontes. Nos ennemis, reconnaissant leur impuissance, n’ont pas cherché à nous disputer la maîtrise de la mer, mais ils ont répondu à notre blocus de surface par un blocus sous-marin dirigé contre notre marine marchande ; il a donc fallu improviser de nouveaux procédés de défense, et c’est en dehors de la liste navale que nous avons été chercher les navires destinés à contrecarrer les desseins de nos ennemis. L’expédition d’Orient a nécessité en outre des transports de troupes et de matériel si nombreux