Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/415

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on a dû mobiliser une grande partie des bâtimens de commerce français. Peut-on dire même que ceux qui restent sous la coupe de leurs armateurs soient en marge de la lutte ? Non évidemment. Les routes ne sont plus sûres ; ni en Méditerranée, ni dans l’Océan ; toute coque qui navigue, fût-elle neutre, est exposée aux pires dangers. Les Allemands, dans leur exaspération, violant tous les traités et toutes les conventions, ont inondé les mers de mines dérivantes ; la mort guette le charbonnier ou le courrier postal à chaque stade de son trajet. Refusera-t-on les honneurs du combattant aux équipages qui courent de tels risques ? D’ailleurs, pour se protéger contre les sous-marins, nous verrons que bien des navires reçoivent un armement approprié.

On peut donc l’affirmer : soit qu’ils aient été réquisitionnés par l’Etat, soit qu’ils demeurent à la disposition de leurs armateurs, presque tous les navires de commerce ont été conduits à participer intimement à l’œuvre de défense nationale. On délivrait, autrefois, des lettres de marque à des corsaires, qui faisaient la course pour leur compte, tout en servant les intérêts du Roi. La déclaration de Paris, en supprimant cette pratique, semblait avoir tracé une ligne de démarcation absolue entre le navire « de guerre » et le navire « de commerce. » Nos diplomates se flattaient d’avoir assuré par toutes sortes de protocoles le respect de la propriété individuelle. Or, il se trouve que jamais cette propriété n’a subi de plus grands dommages ; jamais il n’y a eu plus de confusion entre le pavillon national et le pavillon privé, si bien que l’on peut se demander actuellement si nous ne marchons pas vers une militarisation complète de la flotte marchande.


I

L’aide que celle-ci apporte indirectement à la résistance d’un belligérant est un thème classique. De tout temps, on a fait ressortir les avantages qu’on peut attendre du commerce maritime pendant la période des hostilités [1]. A un moment où les consommations se développent, pour les besoins des armées en

  1. C’est ce qui a toujours conduit l’Angleterre à ne pas voter au Congrès de Paris et à celui de La Haye les dispositions protectrices du navire de commerce en temps de guerre, et notamment la renonciation au droit de prise.