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mon livre d’histoire les évoqua jadis à mon imagination d’enfant.


IV. — DEMEURES D’OFFICIERS

A l’heure du dîner, sous les arbres du petit bois, deux officiers sont en train de faire cuire le chachelik. C’est le mets favori des habitans du Caucase, Arméniens, Turcs ou Géorgiens. On enfile à une brochette en fer des petits carrés de mouton alternés avec de menus morceaux de graisse et l’on fait rôtir sur la braise, à feu doux. Nos deux officiers accroupis à terre, les mains posées à plat sur le sol, soufflent activement leur feu qui brûle avec trop de fumée. L’un d’eux est Grec d’origine et répond au nom significatif de Christophoros. Sa moustache et ses cheveux noirs, son teint pâle, légèrement olivâtre, trahissent son origine levantine. D’ailleurs, né et élevé en Russie, il ne connaît de sa langue maternelle que deux ou trois mots, parmi lesquels le verbe aimer, ce qui donne lieu à mille plaisanteries dont il s’amuse. Le chachelik cuit à point, Christophoros et son camarade invitent les officiers de notre train à le manger avec eux. En ma qualité de journaliste, on me prie de venir prendre un verre de thé après le repas.

Les deux officiers occupent une des maisons évacuées près du bivouac. La salle où ils sont réunis est petite, meublée d’une table, de quelques chaises et d’une étroite couchette de fer. Des clous plantés dans la muraille y servent de portemanteaux. Une tablette supporte quelques ustensiles militaires et un bougeoir d’étain.

Je trouve les dîneurs animés d’une franche gaîté, cette gaieté de bon aloi qui ne doit rien à l’alcool ! On a mis de côté pour moi quelques morceaux de chachelik, et le samovar chante sur un coin de la table. Mais il n’y a plus de chaises : un officier arrivé des positions a pris la dernière !... Vite, on transforme en tabouret une caisse vide, et nous voilà tous assis... Le convive inattendu a apporté de bonnes nouvelles : une attaque a été repoussée à T..., où l’on a fait des prisonniers et pris des mitrailleuses ; il y a eu quelques rencontres de détachemens de cavalerie en reconnaissance, comme si, de part et d’autre, on tâtait le front pour en chercher le point