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faible. Le nôtre est solide ; les Allemands le verront bientôt.

Pour fêter ces bonnes nouvelles, le chirurgien-major de notre train se saisit d’une guitare et siffle, en s’accompagnant, un air cosaque au rythme entraînant... Mais, tout à coup, c’est une autre chanson. Le canon, qu’on n’avait pas entendu depuis la veille, se remet à tonner. L’officier venu des positions se lève, ajuste son sabre, et, achevant rapidement son verre de thé :

— Diable ! dit-il, voilà que ça recommence... Il faut que je m’en retourne. Je crois que ça chauffera par là-bas avant cette nuit. Je veux y être. — A après-demain... si je ne suis pas mort ! ajoute-t-il en portant la main à son bonnet de fourrure.,

Je ne sais pas s’il en est revenu.


V. — DANS LE TRAIN DU GRAND-DUC

Le ...e d’infanterie est arrivé des positions à minuit pour recevoir le grand-duc Georges Mikhaïlovitch, qui vient faire une visite aux soldats du front et leur apporter des croix. Toute la nuit, nos vitres ont été éclairées du reflet de leurs feux.

Dès le matin, une grande animation règne dans le camp. Sous les pins on voit aller et venir des Cosaques du Caucase, vêtus de la longue tcherkeska, le bachelik rouge flottant sur leurs épaules. Ce sont eux qui doivent former la suite du grand-duc. Leurs chevaux, sellés, sont attachés aux arbres. Ceux des officiers venus de tous les points voisins du front, sont tenus à la bride par des soldats.

Avant midi, tout le monde est à son poste. Le tableau est magnifique dans ce décor de neige et de bois. Au fond, le camp se dessine avec ses abris, ses tentes, ses caissons dételés ; à gauche, s’arrondissent les tentes des ambulances ; à droite, s’étend le petit bois de pins sous lequel sont rangés, sur deux lignes, les cinquante Cosaques de la suite, à cheval. Leur chef, un grand diable blond, se tient en avant, superbe sous son bonnet de fourrure blanche et son bachelik de drap rouge. Au bout de la ligne, flotte le fanion marron et rouge de la sotnia. Sur les pentes du talus sont groupées les sœurs de charité : robes grises, vestes de cuir et voiles noirs. Le long du quai s’alignent les fantassins arrivés cette nuit, et, de l’autre côté de la voie, devant la forêt, les petites croix de bois blanc ont