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l’air de se soulever sur les tombes, comme si elles subissaient la poussée souterraine des morts !...

Dès que le grand-duc met pied à terre, on entend le commandement : « Sabre au clair ! » suivi d’un autre ; après quoi, la musique attaque une marche guerrière. Le grand-duc parcourt le front des troupes. Il est grand et d’allure martiale. Son visage, barré d’une forte moustache, poivre et sel, respire l’énergie. Au nom de l’Empereur, il remercie les vaillantes troupes de cette partie du front pour leur valeureuse conduite, attache les médailles et les croix sur les poitrines de ces braves, et les salue d’un : « Au revoir, maladsé (mes braves) ! » qui sonne comme un coup de cymbale.

Après le dîner, j’ai eu l’honneur d’être présentée au grand-duc. Réception cordiale, tasse de thé : aucun apparat.

Son Altesse impériale a auprès d’elle deux officiers et le prince Baratinsky : celui-ci fut, il y a quelques semaines, chargé de porter à l’Empereur la croix de Saint-Georges. Le commandant de notre train, ancien condisciple du grand-duc, m’accompagne.

Assis autour des petites tables de la salle à manger qui fut un wagon-restaurant et qui en a gardé la simplicité, nous rappelons les souvenirs de cette guerre déjà si longue. Son Altesse impériale, qui a visité tous les fronts, nous parle de la vie du Tsar à Mohilef, du tsarévitch qui accompagne son père, et dont la constitution se développe et se fortifie dans une plus libre expansion, des soldats si patiens, si modestes, si résolus. Et tout à coup :

— Connaissez-vous, madame, l’histoire du fusil de l’Empereur ?

Non sans une certaine confusion, j’avoue ma complète ignorance.

— Peut-être avez-vous remarqué au cours de la cérémonie militaire de ce matin, reprend le grand-duc, que la garde du drapeau du ...e d’infanterie portait un fusil orné d’une plaque d’argent : c’est le fusil de l’Empereur. Etant à Livadia, — où je possède une propriété, — Sa Majesté eut un jour la fantaisie de s’habiller en simple soldat. Jugez de ma surprise en voyant arriver chez moi le Tsar de toutes les Russies, fusil à l’épaule, et vêtu de l’uniforme du ...e d’infanterie, alors en garnison à Livadia !... L’histoire fit du bruit ; les photographes s’empressèrent... Le régiment dont Sa Majesté avait ainsi honoré l’uniforme