Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vers nous, puis une autre et une autre encore... Plus de doutes.

— Sale truc ! dit un soldat, en éteignant soigneusement sa cigarette pour ne pas mettre le feu aux balles de foin.

Sans bruit et retenant notre souffle, nous nous accroupîmes devant les créneaux. Les Autrichiens, enveloppés de couvertures blanches, rampaient, rang après rang, sur la neige : nous les tenions à bout de fusil... Un bref commandement se fit entendre : « Pli ! » Une salve retentit. L’effet fut extraordinaire. En un instant, toute la première ligne des vagues blanches fut disloquée. Çà et là, on vit se dresser de noires silhouettes d’Autrichiens se lançant à l’attaque. Nos mitrailleuses commencèrent à chanter et à faucher dans leurs rangs une belle moisson. On les voyait très bien maintenant. Ils bondissaient sur leurs pieds, essayaient de se débarrasser de leur couverture et, de nouveau, roulaient dans la neige, atteints d’une balle. Quelques-uns avaient à peine le temps de découvrir leurs épaules ; d’autres s’embarrassaient dans les plis de l’étoffe et perdaient un temps précieux. L’une après l’autre, chaque ligne de vagues fondait avant même de déferler jusqu’à nos fils de fer barbelés...

Quand le jour se leva, il ne restait des vagues blanches qu’un amoncellement de corps noirs, sur la neige tachée de sang.

— Du vilain sang sur de la belle neige ! dit un Cosaque en manière de conclusion.


IX. — PRISONNIERS DE GUERRE

C’est le soir, à l’heure trouble du crépuscule.

Le tumulte du camp s’apaise… Chacun a regagné son poste, sa tente ou son abri... Des feux de bivouac s’allument entre les arbres... Les cuisines de campagne se mettent en marche sur les routes devenues plus sûres avec la nuit...

Soudain, on entend des pas précipités, un piétinement de troupeau, des appels, des cris, la sourde rumeur d’une horde en fuite... Est-ce une surprise de l’ennemi ? Non, car il y aurait aussi des coups de feu. Est-ce une avance imprévue des Russes ?... Tous les risques plutôt que cette ignorance. Je me précipite au dehors. Un moutonnement gris ondule sur la neige : ce sont des prisonniers allemands et autrichiens que les Russes ramènent.