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pas encore d’uniformes, mais qui marchaient au pas, comme d’instinct. La plupart, autant qu’on pouvait en juger par leur attitude et leur costume, appartenaient à la partie inférieure de la classe moyenne : probablement des employés de banque ou de magasin ; mais l’élément populaire figurait déjà parmi eux pour une proportion considérable. On les regardait avec sympathie ; les femmes leur souriaient, et plus d’une agitait son mouchoir. Quant à eux, ils avaient l’air allègre, comme s’ils allaient à une partie de plaisir. On sentait que tous croyaient à une guerre courte et heureuse, à une guerre d’émotions et d’aventures, qui leur ferait connaître des pays nouveaux et des mœurs nouvelles.

Lord Kitchener avait demandé d’abord un million, et je crois qu’il eut son million avant la fin de l’automne. Plus tard, il en a réclamé deux, puis trois, puis enfin quatre. Mais j’imagine qu’il eût été embarrassé si les quatre ou cinq millions d’Anglais valides et bons pour le service militaire s’étaient offerts tous à la fois pour prendre les armes, car le ministre de la Guerre n’avait ni fusil, ni uniforme, ni munitions à leur donner, ni officiers pour les instruire, ni sous-officiers pour les encadrer. Je laisse aux experts le soin d’expliquer quelle est la tâche d’un ministre qui doit créer ex nihilo une armée de plusieurs millions d’hommes. Il est facile de comprendre que beaucoup de gens, même parmi ceux qui approuvaient et désiraient la guerre, souhaitaient de voir limité le mouvement des enrôlemens volontaires, dans la crainte de désorganiser les services publics et les industries privées. Ajoutez à cela quelques mécontens qui faisaient la grimace. Oh ! ils ne sont pas nombreux, mais ils ne sont pas sans influence, et je dois indiquer rapidement qui ils sont, d’où ils viennent, et quelle fraction de l’opinion ils représentent ou sont censés représenter.

Je mentionne d’abord, pour mémoire, quelques hauts dignitaires de l’Église anglicane qui se considèrent comme obligés par leur devoir professionnel, à prêcher l’union entre les hommes et entre les peuples, même lorsque cette union est irréalisable ou lorsqu’elle peut tourner au détriment de l’humanité et de la justice. J’ajoute que l’autorité de ces prélats sur le clergé est médiocre et que, sur le public, elle est nulle. Dans le Parlement, on trouve quelques radicaux en qui survivent les théories pacifistes à outrance de John Bright et de