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Provoquer des envois de la part des producteurs découragés par la brusque suppression des transports et se porter garans, vis-à-vis des timides, du paiement de leurs marchandises malgré le moratorium, rechercher avec discernement et obtenir, dans le désarroi inévitable de la vie commerciale, le rétablissement des quelques trains indispensables et des horaires sans lesquels ces trains n’auraient pu être utilisés ; c’est à quoi s’employa le Comité tout d’abord. Et, comme chaque saison exige un régime de transports adapté aux conditions climatériques et à la nature des denrées, comme aussi la durée des hostilités suscite des difficultés croissantes, ne fût-ce que pour la navigation maritime : et notamment pour nos relations avec l’Algérie, comme il faut concilier avec les besoins primordiaux de la Défense nationale, avec les voyages de troupes et de munitions, tantôt l’arrivage des oranges africaines via Port-Vendres, et le retour des emballages vidés outre-mer, tantôt l’envoi des fraises du Tarn-et-Garonne et des asperges de Loir-et-Cher, on présume que ce Comité de professionnels, qui travaillent pour l’honneur, n’est pas sans affaires. Rappelons-nous que certaines denrées, certaines primeurs dont le total se chiffre par millions, sont le pain des agriculteurs qui vivent une partie de l’année sur le produit de ces récoltes de luxe.

Pendant de longs mois, l’alimentation des troupes en campagne s’était surtout composée de viande ; lorsqu’on eut reconnu la nécessité de varier ce régime carné, les intendances, agissant isolément, sans unité de direction, passèrent des marchés de légumes avec de nombreux fournisseurs, qui, enchérissant les uns sur les autres, causaient une hausse injustifiée. La population civile en souffrait autant que le Trésor. Le remède proposé par le président du Comité d’approvisionnement, M. Bouat, à cette concurrence fâcheuse que l’Etat se faisait à lui-même, fut la centralisation des achats. D’octobre 1913 à octobre 1915, les choux aux Halles parisiennes étaient passés de 7 francs à 24 francs les 100 kilos ; les navets et les carottes de 10 à 15 et 20 francs ; les poireaux de 12 à 32 francs, les oignons de 18 à 38 francs.

Sitôt qu’un mandataire unique fut chargé de la totalité des fournitures militaires, la baisse se fit sentir. Ce spécialiste avisé renversa les rôles : ce furent les vendeurs, qui par lui se trouvèrent piqués d’émulation et au besoin mis en posture de solliciteurs.