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mort clouait les bouches et les rendait pour jamais silencieuses… En quelques minutes, tout un bataillon du 71e régiment de cavalerie était anéanti.

Pendant qu’une partie de notre détachement achevait d’incendier le village et de servir les Allemands à la baïonnette, une autre découvrait le dépôt des munitions et faisait sauter les canons et les engins. En même temps, un troisième groupe des nôtres cernait la principale maison du village que nous savions devoir être occupée par l’état-major. Nous ne voulions pas l’incendier, mais y saisir les documens et en rapporter les trophées. Contre toute attente, nous y trouvâmes, avec l’état-major du régiment, celui de toute une division, arrivé la veille à Niével ! Ainsi nos succès dépassaient toutes nos espérances. Les officiers, pris à l’improviste, essayèrent détirer sur nous, mais ils furent sabrés en un clin d’œil. Le général von Tabernis, commandant la 82e division d’artillerie, eut le temps de lever une main, ce qui le sauva II était vêtu d’un simple tricot de laine et nous ignorions quel était son gradé.

Dès que nous en eûmes fini avec les hommes, nous nous emparâmes des papiers, des cartes, en un mot de tout ce que nous pûmes découvrir.

L’affaire avait été jusque là bien conduite, mais il en restait une partie difficile à accomplir : le retour. L’alarme avait été donnée au loin, les secours arrivaient et, si les Allemands réussissaient à nous entourer, rien ne resterait de notre succès, ni de nous.

Des troupes d’infanterie et des détachemens de cavalerie apparaissaient déjà de tous côtés, et nous nous mîmes en marche en tiraillant contre eux.

— Et les prisonniers ? demandai-je.

— Il y en a un, là-bas, au bout du wagon, dit-il. Outre celui-là et le général von Tabernis, nous en avons fait quelques autres : nous les avons placés au milieu de nous pour le retour. Le général, vieux, maigre, taciturne, nous suivait en silence. Avec son tricot, et sans casque par cette nuit d’hiver, il avait froid. Quelqu’un de nous lui offrit un bonnet. Il le refusa et se couvrit la tête avec son mouchoir. À une question militaire qu’on lui posa, il dit :

« Pourquoi m’interroger ? Vous savez bien que je suis un général prussien et que je ne répondrai pas. »