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sons en briques rouges, violacées, propres, modestes et pourtant cossues ; mêmes jardins fleuris ; même paysage de champs bordés de haies et de ruisseaux coulant sous des saules ; mêmes habitans aux figures rouges, honnêtes et épanouies. Les enseignes des magasins sont écrites dans une langue qui semble tenir de l’anglais et de l’allemand.

Cependant l’architecture des villes est bien française : dans ce style robuste et sobre des constructions du Nord, on retrouve toujours la grande tradition du pays de France.

La guerre nous semblait encore si lointaine que nous pouvions nous livrer à ces réflexions, tout en roulant à travers le pays. Nous arrivâmes cependant bientôt à un camp d’aviation. Les hangars s’étendaient sur un vaste plateau, animé d’une foule de soldats en khaki. Tout y dénotait une grande activité militaire. Un peu plus loin, nous arrivâmes à Saint-Omer.

On eût dit une ville anglaise, construite autour d’un groupe d’églises françaises, ville grise, propre, froide et vide comme Londres le dimanche. Au coin des rues, des sentinelles anglaises se tenaient immobiles, toutes prêtes à diriger la circulation des passans. On voyait les banderoles de la Croix-Rouge et de « St-John’s Ambulance » pendues à des maisons dont les façades rappelaient presque celles des Clubs de Pall Mall.

En sortant dans les faubourgs, l’aspect de la foule sur les ponts des canaux et le long des routes était plus anglais encore. Chaque nation a sa manière de flâner, et rien ne ressemble moins à la flânerie française que la flânerie anglaise. Même si ces jeunes gens n’eussent pas eu des uniformes khaki et si leurs compagnes n’eussent pas eu ces bonnes figures rougeaudes de campagnardes, on eût reconnu qu’ils étaient des gens du Nord jouissant sans hâte des douceurs d’un jour de congé.

En tournant à l’Ouest de Saint-Omer, toujours à travers des pâturages traversés de cours d’eau, nous nous trouvâmes en face de deux collines émergeant de la plaine : sur le sommet de l’une d’elles, s’élevaient les murs et les tours d’une petite ville compacte du Moyen Âge.

En suivant les détours du chemin qui nous y conduisait, un souvenir d’Italie se mêlait à l’impression constante que nous avions eue de nous sentir tout près de la Manche. La ville dont nous approchions aurait pu, dans un rêve étrange, évoquer à la fois Winchelsea et San Gimignano ; mais, dès que nous