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objets en coquillages ou des cartes postales ; de temps en temps, entre les uniformes vert foncé et amarante, apparaissait la note unie d’un soldat en khaki, ou le bleu pâle d’une tunique française.

Avant déjeuner, l’automobile nous conduisit à Dunkerque, en suivant le canal entre des plaines verdoyantes et des villages florissans. Rien n’y rappelait la guerre, sauf les camions militaires et les voitures d’ambulances qui sillonnaient la route. Les murs et les portes de Dunkerque nous apparurent aussi intacts et aussi calmes que lorsque nous y étions entrés l’avant-veille. Mais à l’intérieur des portes, c’était un désert. Le bombardement avait cessé la veille au soir, laissant la ville dans un silence de mort. Toutes les maisons étaient fermées, les rues étaient vides. Nous allâmes à la place Jean-Bart, à l’endroit même où, deux jours auparavant, nous prenions le thé dans le hall de l’hôtel. Maintenant, il ne restait pas un carreau aux fenêtres du square, les portes de l’hôtel étaient fermées, et l’on voyait, de temps en temps, un domestique apparaître portant un panier rempli des plâtras tombés des plafonds. Le square était littéralement pavé de morceaux de verre provenant des innombrables vitres cassées, — et, juste aux pieds de la statue de Jean-Bart, à l’endroit même où l’automobile nous attendait l’autre jour, le canon de Dixmude avait creusé un trou pouvant rivaliser avec le cratère de Nieuport.

La place, bien que toutes les maisons en fussent intactes, disait l’absolue désolation. C’était la première fois que nous voyions les blessures fraîchement causées par un bombardement. Ce ravage si récent n’en paraissait que plus cruel. En suivant une rue derrière l’hôtel, nous arrivâmes à l’élégante église gothique de Saint-Éloi, dont un bas côté a été en partie saccagé. Puis, nous nous trouvâmes en face d’une pauvre maison bourgeoise entièrement dépouillée de sa façade. Ces planchers effondrés exposés à nos yeux dans leur nudité vulgaire, ces armoires éventrées, ces lits suspendus dans le vide, ces couvertures en tas, cet amas de chaises renversées, de poêles, de lavabos sens dessus dessous, étaient d’un effet bien plus pénible que les nobles blessures de l’église Saint-Éloi. L’église était drapée dans la dignité du martyre : tandis que la pauvre petite maison faisait penser à quelque miséreux soudainement exposé au grand jour dans le dénuement de ses guenilles.