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VISITES AU FRONT.

Quelques groupes regardaient les ruines ou erraient sans but dans les rues. Tout le monde parlait bas, comme dans une chambre mortuaire ; c’était plus impressionnant que le complet silence d’Ypres. Pourtant, quand nous revînmes à la place Jean-Bart, l’instinct de vie, qui résiste à tout, avait déjà commencé à reparaître : une bande d’enfans jouait au fond du cratère, à la recherche de fragmens de verre cassé et de briques fendues, et, tout autour, les gens du marché dressaient leurs petits étalages de bois, tranquillement comme d’habitude. Dans quelques minutes, les traces du ravage allemand seraient cachées sous des tas de faïences et d’ustensiles de ménage, et ces mêmes femmes, que nous avions vues absorbées dans la douloureuse contemplation des ruines, retrouveraient leur entrain accoutumé pour marchander une casserole ou une bassinoire.

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Tout l’après-midi se passa à errer dans les rues de La Panne. Les exercices des troupes avaient recommencé, et c’était un spectacle d’une étrange beauté que celui de leurs manœuvres sur la plage. Le soleil était voilé, le ciel menaçant, la mer houleuse : vers le soir, la mer prit des teintes de jade et de perle avec des reflets d’argent terni. Au loin, sur la plage, toute une flotte mystérieuse de barques de pêche était échouée sur le sable, leurs voiles noires gonflées par le vent ; elles semblaient avoir débarqué au soleil couchant ces cavaliers noirs qui galopaient tout à l’entour, s’échappant de quelque farouche légende du Nord. Des clairons sur le bord de la mer, la face tournée vers les dunes, les pieds dans la mer, se mirent à sonner : il me semblait entendre l’appel du cor de Roland, retentissant à Roncevaux, dans le combat contre les païens. Sur le monticule de sable, sous ma fenêtre, la sentinelle solitaire veillait…

24 juin.

Quand on quitte le front, c’est comme si l’on descendait de la montagne : je n’ai jamais éprouvé ce sentiment de façon plus vive qu’en quittant la Belgique, cet après-midi. J’en fus surtout pénétrée en passant devant un groupe de villas isolées, dans une région stérile où un maigre gazon pousse seul dans le sable.

En quittant Saint-Omer, nous prîmes un raccourci à travers