Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/808

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
804
REVUE DES DEUX MONDES.

une campagne accidentée. Ce fut une bonne chance qui nous fit quitter la grande route, car, du sommet d’une colline, nous vîmes s’avancer vers nous un important détachement de troupes anglaises et indiennes. Les champs de blé, les bouquets de bois et les hauteurs bleutées de l’horizon baignaient dans une lumière d’argent, et c’est dans cette atmosphère éblouissante que s’avançaient ces régimens de cavaliers indiens fins et élancés ; sous leurs turbans, leurs figures délicates et altières évoquaient celles qu’ont les princes sur les miniatures persanes. Alors, ce fut un long train d’artillerie : des chevaux superbes, des canons roulant avec fracas ; puis de jeunes Anglais au frais visage galopant sous la lumière du soleil couchant. Leur défilé semblait ne jamais devoir s’achever. De temps en temps, il était interrompu par un train d’ambulances et de camions, ou arrêté et resserré dans les rues étroites d’un village : enfans et fillettes sortaient pour offrir des fleurs aux soldats, tandis que des boulangers vendaient des pains chauds aux cantiniers. Notre automobile parvint enfin à se dégager de cette foule, et nous montâmes une autre côte, mais ce fut pour rencontrer un autre régiment venant vers nous. Pendant plus d’une heure, cette procession défila, exactement comme la procession de troupes françaises que nous avions rencontrée en allant au Nord, quelques jours auparavant, et cependant si différente ! Il nous sembla que nous avions passé, pour gagner le front du Nord, et repassé encore, en le quittant, par une porte étincelante dans le long mur des armées qui gardent le monde civilisé, depuis la mer du Nord jusqu’aux Vosges.

Reims, 19 août 1915.

Mon expédition à l’Est commença par une pointe vers le Nord, pour aller, près de Reims, dans un gros bourg, voir en activité l’une des nouvelles unités automobiles sanitaires de la Croix-Rouge. Une fois l’inspection terminée, nous gravîmes un vignoble au-dessus de la ville, dominant une vallée où coule une rivière entre une double rangée d’arbres. La première ligne d’arbres suit le canal, que tiennent les Français : on y a installé des canons sur des péniches. Derrière se trouve la grande route, avec les lignes de tranchées françaises ; juste au-dessus, sur l’autre versant, sont les lignes allemandes.