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rien à la question homérique dont on l’a bien artificiellement rapprochée. L’œuvre elle-même n’est point en cause, et il ne s’agit pas de savoir quand ni comment elle a été composée, mais par qui. Il n’y a doute que sur la personne, comme dans un roman policier. Ceux qui l’écrivent sont obligés de reprendre à leur point de vue la vie de Shakspeare et l’examen de son œuvre. En dehors de son attrait romanesque, leur tentative offre à ce titre, pour la biographie et la critique, un double intérêt.


I

C’est une singulière aventure, et d’où sont sorties plus tard toutes les difficultés, que celle de la biographie de Shakspeare. Il faut attendre près d’un siècle après sa mort pour en voir paraître une première esquisse, celle de Nicolas Rowe, en 1709, reproduite à peu près telle quelle jusqu’aux premiers travaux de Malone en 1778. Elle était elle-même fort mince, fondée sur des traditions peu sûres, et dépourvue de toute critique. Mais l’époque était peu curieuse du détail biographique : l’œuvre lui suffisait, et elle ne se souciait pas de l’homme. Bientôt, lorsque d’autres exigences s’éveillent et que l’œuvre elle-même, devenant l’objet d’un culte, attire l’attention sur l’auteur, on ne trouve rien de mieux, pour dissimuler cette pénurie de témoignages, que d’en fabriquer. Alors commence, avec George Steevens, en 1763, la série des faux. Elle continue avec ceux de John Jordan et de William Henry Ireland. Ce dernier, qui en compose, avec l’aide de son père, le graveur Samuel Ireland, tout un volume, y joint même une tragédie de Vortigern que Sheridan et Kemble jouèrent le 2 avril 1776 au théâtre de Drury Lane, comme étant de Shakspeare ; et il met la signature du poète, ainsi que des notes marginales qu’il lui attribue, sur de nombreux volumes du XVIe siècle.

Mais les fraudes de Steevens, de Jordan et d’Ireland ne sont que des naïvetés en comparaison de celles qu’exécutèrent en grand John Payne Collier et ses complices, de 1835 à 1849. Ce n’est pas ici le lieu de les exposer. Contentons-nous de rappeler que dès 1860 les discussions commencèrent sur l’authenticité des découvertes de Collier et que, grâce aux travaux des