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NOTES D’UNE INFIRMIÈRE À MOUDROS

était à peu près deux heures quarante-cinq, le sous-marin fait route dessus... Le temps était beau, le ciel très bleu. Mais cela n’importait pas beaucoup, car il a fallu plonger tout de suite par le travers d’Achi-Baba. Ils ont plongé à vingt-deux mètres pour glisser sous les mines ; trois heures après, ils contournaient Kilid-Bahr, après avoir touché le fond, qui n’était plus qu’à douze mètres. ils continuaient tranquillement leur route, — tranquillement est peut-être excessif, — car l’attention déployée dépasse tout ce que l’on peut imaginer, quand leur périscope est repéré par un bâtiment et des destroyers ennemis... Alors, doublant de vitesse, ils sont partis à toute allure vers le Nord... Ils ne s’arrêtent pas, ils continuent leur route, ils doublent Nagara à une profondeur de vingt-cinq mètres et ils passent à Gallipoli sept heures après leur départ... Un peu plus de sept heures avaient suffi pour les amener là... Mais ils rentrent toujours en plongée, ils ne remontent pas. Ils continuent, et, trois heures après, pour se reposer, ils s’étendent sur le fond près de la côte Nord...

Enfin, à vingt et une heures, c’est-à-dire après dix-neuf heures de plongée, ils remontent à la surface. Gare ! la chasse va commencer. Mais à peine sont-ils dehors qu’ils doivent replonger deux fois de suite : des destroyers ennemis les ont aperçus. Cela ne les empêche pas de faire les signaux réglementaires à leur amiral pour lui dire la réussite de l’entreprise... Peine perdue... l’amiral ne répond pas et pour cause : un fil d’antenne était brisé.

Alors, tous les jours, en plongée ou en surface, ils continuent leur mission. La mer de Marmara leur appartient. Ils vont, viennent. Ils émergent, ils plongent. Le 23 mai, ils ont la bonne fortune d’apercevoir une canonnière allemande devant Constantinople. Grande joie ! on se met en position et par le tube de bâbord, on la torpille et on la coule. La torpille l’a atteinte à tribord juste au milieu ! Mais la canonnière ne se tient pas pour battue ; pendant qu’elle coule, elle a aperçu le périscope sur lequel elle ouvre le feu. La première salve l’atteint... Ils ont dû alors faire route dans le Nord vers l’île... Après avoir émergé, on a réparé le périscope pour qu’il puisse recevoir une tête neuve.

Mais ils ne sont pas toujours sous l’eau ; lorsque le temps et l’ennemi le permettent, on peut songer aussi un peu à soi : aussi