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ils étaient, ils remontèrent à six mètres pour voir ce que cela voulait dire... C’était une superbe grosse mine, qui était à peu près à six mètres du périscope, et sans doute était-elle suspendue par son orin à la barre de plongée bâbord... Ils la traînaient à la remorque...

Ils ne songèrent pas à se dégager, c’était impossible à cause des batteries à terre ; ils continuèrent donc à faire route dans le détroit à une profondeur de neuf mètres... Une heure plus tard, ils remontèrent à six mètres, au delà de Koum-Kaleh... Là, ils décidèrent qu’il fallait abandonner la mine. Ils firent machine en arrière à toute vitesse, après avoir vidé le ballast arrière pour laisser enfoncer l’avant et amener l’arrière en surface. La vitesse en arrière et le courant avaient fait dégager la mine de leur avant... Tout était sauvé...

C’est très simple, n’est-ce pas ?


Moudros, 25 décembre 1915.

Une nuit calme et pure. Une nuit tellement constellée d’étoiles, qu’il semblait qu’elles se fussent donné quelque rendez-vous mystique. Une nuit où de l’apaisement glissait des cieux, où les planètes grandissaient dans leur hiératique beauté, où tout devenait immuable. Une nuit lumineuse de clarté et de recueillement, une nuit où chaque chose parlait au cœur d’immense paix et d’infini pardon.

Ce soir, l’âme s’est repliée sur elle-même, en communion étroite. Elle est paisible et sereine, elle écoute et elle vibre d’amour. Il n’y a nulle rancœur, nuls regrets, seulement une grande paix ! Elle est émue et frissonnante, car, ce soir, c’est la nuit solennelle, la nuit où Dieu se rapproche des êtres...

C’est sous ce ciel d’Orient, dans ce cadre immense où l’œil se perd, où tout chante à l’unisson de notre cœur, qu’ont éclaté le « Minuit chrétien » et les cantiques naïfs des Noëls villageois ! Ce sont des voix d’hommes, rien que des voix d’hommes, des centaines d’hommes qui chantent têtes nues, debout et respectueux... Les soldats chantent graves et recueillis, et dans les yeux lointains passe le souvenir d’autres Noëls... On n’est plus seul, puisque l’on chante, et que tous ces chants-là ramènent au toit familial, au sol qui nous tient par toutes les fibres. On a beau avoir sous les yeux les feux silencieux des camps voisins, les innombrables lumières des navires ancrés, les