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NOTES D’UNE INFIRMIÈRE À MOUDROS

longues silhouettes souples des montagnes environnantes, l’âme court, vole au-dessus des mers et retrouve en quelque coin perdu, au fond des Cévennes ou dans les Landes bretonnes, ou encore plus loin, dans quelque chaumière du Nord, un Noël très vivant...

Ce soir, c’est encore la nuit de guerre, c’est le sacrifice consenti, accompli, et c’est l’humble hommage, le souvenir à tous ceux qui dorment pour notre paix à nous ! Tous ceux dont les âmes sillonnent les nues et qui demandent le respect de la cause pour laquelle ils se sont sacrifiés !

……………………..

Notre arbre de Noël a été un vrai succès. On avait battu toute l’ile pour trouver de quoi composer cet arbre. Avec toutes sortes de branchages, on était arrivé à le confectionner, et bien qu’il fût de trois essences différentes, il avait encore assez bonne mine. On fit des nœuds de papier bleu, blanc et rouge que l’on piqua un peu partout. Il était ainsi tout habillé, sans compter les oranges et les lots qui l’ornaient. Haut sur pattes, on le voyait de loin.

Chaque malade reçut un paquet contenant quelques souvenirs, et chacun eut aussi une belle orange d’or et une grosse mandarine. Ce n’était pas beaucoup, mais c’était toujours ça, — une pensée, une façon d’un peu se rappeler la famille. Un chanteur de complaisance entonna la Marseillaise, après qu’un des soldats nous eut lu une trop touchante adresse. On reprit tous en chœur le chant national, et l’amiral Jaurès arriva sur ces entrefaites... Cela donna plus de cœur aux chanteurs... Il salua longuement, l’amiral, et son œil était humide. Il salua et l’hymne et les hommes. Puis il alla à chacune de nous, et nous remercia, de quoi ? mon Dieu ! Cet amiral-là était rudement populaire, parce qu’on le savait très fort, et puis aussi parce qu’en dehors du service, il s’attachait à effacer toute distance entre lui et ses subordonnés. Ce n’était plus l’amiral, mais l’ami...

Notre arbre eut donc son succès, un vrai... Puis ce fut le tour des grands malades, qui reçurent aussi chacun un souvenir... Et encore le chanteur suivait dans les salles pour dire, avec une chansonnette, notre Marseillaise ! Ce fut une bonne journée...)