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Lorsque Fatima, les bras arrondis derrière la nuque, se renversait, elle apercevait au loin, très haut dans le ciel, la cime de la Khadidja irisée comme un cristal au-dessus de la montagne. Tous les voiles de mousseline répandus par l’humidité sur les collines s’étaient évaporés.

Encore une journée torride qui s’annonçait.

Les amphores ruisselaient et les femmes ne se décidaient pas au retour lorsque des cris appelèrent de prétendues Ammama, Tekla ou Alima.

— Par Sidi Abderrhamane, ces « hommes-là » nous réclament, murmurèrent-elles effrayées. Soudain, se formant en monôme, Aïcha la sorcière en tête, comme une sauvegarde, elles remontèrent le chemin en corniche. Au-dessus des prés verts, elles semblaient une procession de fleurs en marche : anthémis, pavots, gentianes, soucis, allant fleurir de leur beauté les petites maisons de pisé.


Sur le rocher aux corbeaux un aigle affronte le soleil de ses yeux scintillans comme des gemmes, ouvre lentement ses ailes rousses dans une sorte de bâillement d’ennui et, dédaigneux, contemple, de son aire, la procession des femmes chargées de leurs cruches.

Sur l’autre bord du plateau rocheux l’étrange village d’Agouhni-Guehrane, de la tribu des Beni-Sedka-Chenacha, étale ses logis de terre aux terrasses souples, qui, s’unissant les unes aux autres, forment une sorte de place suspendue où papillonnent des enfans grêles, agiles, sauvages : fillettes nues dans une courte tunique ouverte sur les flancs et portant des bébés à califourchon sur un tissu noué comme une écharpe ; gamins au teint de réglisse, dégingandés comme des poulains avec des articulations saillantes et une maigreur sans grâce. Les filles, devant les bonds sauvages des petits mâles, parfois portent les bras devant leurs visages maquillés de noir et de bleu ou tatoués sur le menton et jettent des sifflemens de chattes en colère.

Agouhni-Guehrane est-il un village de la préhistoire ? Avec ses portes en trapèze, est-ce une bourgade d’Egypte aux temps des Pharaons ? La Chaldée enseigna-t-elle son industrie à ces Chenacha d’un type homogène avec leurs faces longues comme celles des chevaliers mystiques du Greco ?