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s’y introduisent, l’occupation qui a été donnée aux troupes qui n’étaient pas sur le théâtre de la guerre et qui pourraient être utilement employées. » Et le résultat, après expérience ? Cet œil et cette oreille, qui sont dans tous les murs, terrorisent, démoralisent et paralysent tout : pour un courage ou une valeur qu’ils stimulent, ils en empêchent et en glacent dix ; ils ne suscitent guère et ne soutiennent que des incapables et des intrigans. Personne n’accepte plus le commandement. Tout ce qui a l’étoffe et le caractère d’un chef se récuse. Lorsque, par hasard ou contrainte, ils ont accepté, « les généraux tremblent des dénonciations et sont effrayés de leur responsabilité ; c’est ce qui les rend moins entreprenans. » Recueillant là-dessus ses souvenirs, le duc de Rovigo écrira littéralement : « On fuyait un représentant du peuple presque comme on fuit une bête enragée... Leurs décisions, qu’ils rendaient avec toute l’importance de l’ignorance, les couvraient de ridicule. » Le plus brillant de tous, Saint-Just, ne fut pas si brillant! Un amateur d’autographes a cité triomphalement une lettre du « triumvir » à Hoche. Il a oublié de dire que la grande pensée de Saint-Just, à la veille de Wissembourg, était de remplacer Hoche par Pichegru, et qu’au lendemain de Wissembourg, ses manigances faillirent perdre le héros vainqueur. On peut, sans blasphème, réclamer plus de clairvoyance et moins d’ingratitude. Si les représentans en mission excitèrent parfois à faire de grandes choses, ils en firent souvent de très petites. Commissaires de la Convention ou commissaires de la Chambre, tant mieux s’ils ne se ressemblaient pas, ou ne se ressemblaient qu’en bien ; mais fatalement, parce que c’étaient et ce sont des hommes, ils se ressembleraient en tout.

« Romantisme historique, » jette-t-on du haut d’un soi-disant « réalisme » qui, non sans dédain, incrimine « le poids des idées préconçues, » des « habitudes de pensée » et de « l’éducation. » Mais dans quel « romantisme politique » tombe celui-là même qui en sourit, s’il se lance aussitôt en une dissertation à la manière de Rousseau sur « la force des démocraties, » et les formes nouvelles qu’en affecteraient, dans des sociétés en rupture totale avec le passé, la guerre et le gouvernement! Eh! oui, il y a des formes nouvelles; mais le fond ancien subsiste, le fond éternel. Dussent un scepticisme élégant ou un nihilisme brutal s’en scandaliser, le Dieu de la guerre et du gouvernement est, comme dit le poète, « un Dieu tel aujourd’hui qu’il fut dans tous les temps. » L’unité est et demeure son essence. Les conditions de la guerre et du gouvernement sont, de nature et de nécessité,