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II

La modestie n’ayant jamais passé pour une de leurs vertus nationales, on ne s’aurait s’étonner si l’image qu’ils tracent d’eux-mêmes nous apparaît comme singulièrement flattée. On aurait peine pourtant à croire, si l’on n’avait soin d’en préciser les traits, à quel point elle a été déformée par les passions guerrières, et quelle dose d’illusions, de crédulité et de présomption elle suppose dans les esprits où elle s’est fixée. A les en croire, tout serait parfait dans la guerre soutenue par l’Allemagne actuelle contre « un monde d’ennemis. » Les sentimens qu’elle y apporte, la force matérielle et morale qu’elle y déploie, la confiance indestructible qui l’anime, les succès qu’elle y remporte, tout, jusqu’à l’œuvre civilisatrice qu’elle accomplit dans les pays envahis devrait devenir pour le monde étonné un objet d’admiration sans réserve.

Tout d’abord, les mobiles qui l’ont amenée à prendre les armes n’ont rien de commun avec les convoitises matérielles prêtées à ses hommes d’Etat par la presse de l’Entente. Ce seraient : dans les masses, toujours simplistes, l’indignation provoquée par une brutale agression, et dans les classes éclairées la nécessité de défendre leur civilisation contre des adversaires acharnés à la détruire. Ce n’est pas en effet une des moindres surprises de cette lecture que de constater avec quelle apparente conviction beaucoup d’Allemands semblent prendre à tâche de persuader aux autres et à eux-mêmes que les Alliés en veulent à leur kultur : « C’est, écrit un jeune officier à sa mère, pour des idées, pour des conceptions comme celles de l’honneur, de la liberté et de la patrie que nous courons à la mort… Cette lutte, ajoute-t-il dans une sorte d’élan mystique, ne se livre pas pour les choses de la terre ; ce sont nos biens les plus sacrés que nous couvrons de notre épée. » Les intellectuels renchérissent naturellement sur ce thème : « Je suis fier, déclare un étudiant, de combattre pour ce que je place au-dessus de tout dans le monde : pour la poésie, l’art, la philosophie, la kultur » — « Nous avons la persuasion, précise un autre, de lutter pour la pensée allemande dans le monde et de défendre la sensibilité germanique contre la barbarie asiatique et