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« — Attention aux Zeppelins, et bombez la poitrine ! — reprenait le jeune Hugues, — N’oublions pas que la consigne est d’être raides comme des soldats de bois !

« Mme Britling trouvait le spectacle si amusant qu’elle courut chercher son appareil photographique, et prit un « instantané » du bataillon improvisé. L’épreuve qu’elle obtint fut des mieux réussies ; M. Britling la retrouva, une année plus tard, parmi ses papiers, encore tout imprégnée de gaîté printanière… »

Mais à la différence d’un très grand nombre de ses compatriotes, dont il nous apprend lui-même qu’ils allaient rester encore pendant de longs mois dans cette disposition étrangement « détachée, » M. Britling n’a point tardé à saisir tout ce que comportait de sérieux et de grave une immense guerre d’un genre aussi nouveau. La retraite des armées alliées jusque la Marne et à l’Oise, l’arrivée soudaine des Allemands aux portes de Paris, l’alarme trop visible des pouvoirs publics, comment tout cela ne l’aurait-il pas réveillé, — au moins pour quelque temps, — de son rêve optimiste des premières semaines ? « C’est notre nation tout entière qui dormait, s’écrie-t-il, avec ses habitudes invétérées d’indolence matérielle et morale ! Au fond de nos esprits, jusqu’à ces terribles révélations d’aujourd’hui, nous comptions que la France se chargerait de faire, toute seule, le gros de l’ouvrage sur le Continent, tandis que nous n’aurions qu’à nous occuper de la mer. Oui, voilà ce que nous pensions, dans la faible mesure où nous prenions la peine de penser quelque chose ! Et maintenant, voici que, peut-être, nous devrons combattre pour sauver la France elle-même, sur les ruines de Paris ! Ah ! nous aurons à payer bien cher la façon dont nous nous sommes complu, les uns dans la recherche d’un misérable profit personnel, et d’autres, comme moi, dans de vaines abstractions, alors qu’il n’y a pas un d’entre nous qui n’aurait dû s’occuper uniquement de travailler à l’œuvre nationale ! »

Sur quoi voici désormais M. Britling et tout son entourage s’efforçant de travailler à « l’œuvre nationale ! » Trop âgé pour y participer d’une manière plus active, M. Britling lui-même, fièrement pourvu d’un large « brassard, » se prodigue en articles et en conférences « de guerre ; » et l’on entend bien que Mme Britling, de son côté, ne cesse pas de combler de cadeaux et de bonnes paroles, — faute de pouvoir les servir plus efficacement, — les blessés recueillis dans les châteaux voisins.

Puis c’est le secrétaire de M. Britling qui lui annonce son projet