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Nous approchons peu à peu des questions complexes que la victoire seule sera en mesure de résoudre et de trancher. Il ne me parait pas qu’il y ait d’inconvénient grave à rechercher dans quel sens peuvent se produire les prochaines solutions.

Le principe des nationalités suit le penchant des peuples ; le principe de l’équilibre satisfait leur raison. L’équilibre est un calcul de forces, et ce calcul est nécessaire pour construire l’édifice que les aspirations humaines n’ont su que rêver. Il faut opposer les forces aux forces, c’est-à-dire des États souverains à des États souverains. Nous avons vu que Leibnitz appelle « souverain » un État fort. La souveraineté, c’est l’indépendance capable de se défendre elle-même. L’indépendance des peuples, y compris celle des peuples allemands, résidera donc dans l’établissement légitime d’un certain nombre d’États forts, ces États forts se moulant, dans la mesure du possible, sur les nationalités. Ainsi seront sauvegardés, à la fois, les aspirations naturelles des peuples et les égards réciproques qu’ils se doivent, — la liberté et la sécurité.

Une Allemagne composée et entourée d’États forts bien coordonnés, telle serait, à première vue, la constitution d’une bonne Europe centrale. Nous verrons tout à l’heure comment ces États s’adapteront les uns aux autres dans l’ensemble d’un organisme commun et comment ils travailleront ensemble : car il ne serait pas sage de perdre de vue l’idée de l’unité européenne. Mais il faut insister, d’abord, sur l’établissement et la disposition de ces principaux rouages.

Si l’Europe victorieuse a refusé l’existence à l’Empire des Hohenzollern, à plus forte raison elle s’opposera à la conception pangermaniste, ruinée avant de naître, d’une Mittel-Europa, celle-ci fût-elle réduite à une simple organisation économique telle que la conçoit le professeur Naumann. Naumann nous trace la ligne de conduite à suivre par ses appréhensions mêmes : « Dès à présent, dit-il, il faut faire tout notre possible pour empêcher toute tentative de scission dans le bloc du Centre européen lors des pourparlers de paix. » Mais cette scission est fatale. Plus l’Allemagne insistera, plus les intérêts divergens seront sur leurs gardes. Déjà d’autres perspectives apparaissent, puisque Erich Pistor termine son grand ouvrage sur les ressources économiques de l’Autriche par ce souhait modeste : « Ce n’est pas une guerre avec l’Allemagne, inévitable