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qui sont d’assez petites gens, ni le caractère de l’aventure qui est assez vulgaire, ni même le « cœur de Jacqueline. »

Paul de Musset, qui nous conte cette anecdote, ajoute que nous lui devons le Chandelier, « l’un des meilleurs fruits de l’esprit français depuis le siècle de Molière. » Pour une fois, le bon frère s’est montré bon critique. La filiation avec notre comédie traditionnelle est certaine. Maître André est, à la lettre, un mari de Molière. La première scène, celle de l’interrogatoire de Jacqueline, est d’un comique large et gras, qui sonne comme le rire d’autrefois, et contraste avec la note plus grêle du persiflage habituel à Musset. L’esprit français, tel qu’il s’épanouit dans la comédie de Molière, est celui de nos vieux fabliaux. Il consiste essentiellement à s’égayer des bons tours que joue la malice féminine à la crédulité d’un mari ou à la sottise d’un amant. C’est bien l’esprit du Chandelier, et c’est à ce point de vue qu’il faut se placer pour apprécier les personnages de la pièce.

Jacqueline… ah ! que c’est une erreur d’en faire un rôle à paniers et de le jouer en grande coquette ! Cette petite bourgeoise de province, femme de notaire, qui trompe son mari avec le premier militaire qui passe, son amant avec le clerc de son notaire de mari, ce n’est ni une grande coquette, ni une grande amoureuse, et elle n’y prétend guère, et de là vient que son rôle soit toute simplicité et toute vérité. Jolie à ravir, elle s’est mariée, pour se marier, à un homme beaucoup plus âgé qu’elle et qui avait du bien : c’est Agnès épousant Arnolphe, c’est Rosine épousant Bartholo. Pas un instant elle n’a songé à lui être fidèle et Clavaroche n’a eu qu’à se présenter. Aime-t-elle ce premier amant ? Oui, sans doute, comme elle peut aimer et comme lui-même mérite d’être aimé. Car ce Clavaroche n’est ni un lourdaud, ni un grotesque, et c’est une faute de pousser le rôle au comique. Il a une fatuité de bel homme et nulle sentimentalité : c’est ce que veut dire Fortunio quand il lui reproche sa « sotte vanité. » Mais d’ailleurs il est élégant, de fière tournure et d’allures conquérantes. Il domine entièrement Jacqueline et lui fait faire tout ce qu’il veut. Il plaît aux femmes par sa hardiesse qu’avive une pointe de cynisme, et Jacqueline est terriblement femme. Lorsque Clavaroche lui explique à quoi sert un « chandelier, » elle ne peut s’empêcher de rire : tous les manèges qui ont rapport à l’amour l’intéressent et l’amusent. Elle ne fait d’objections qu’à peine et pour la forme, et tout de suite elle entre dans le jeu. Sur quelques indications que lui a données sa servante, elle imagine tout un plan et l’invente à mesure. Elle est de ces filles à qui, suivant le proverbe,