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déjà très distincte, de ces qualités dans un roman de sa jeunesse. En Vain, que l’on nous avait traduit vers le même temps[1], et où leur présence m’avait d’autant plus profondément touché que je les y voyais s’accompagnant volontiers d’une certaine gaucherie naïve et passionnée, la moins faite du monde pour annoncer la prochaine dextérité « manuelle » de l’auteur de Quo Vadis ? Mais voilà qu’à la suite du triomphe, décidément affirmé, du roman « néronien, » une demi-douzaine de traducteurs se sont mis à déverser sur nous une foule d’autres récits de toutes dimensions, dont les uns nous révélaient, à nouveau, les mêmes dons d’imitation habile et « détachée, » tandis que d’autres, — de longs romans « contemporains » appelés Sans dogme ou la Famille Polaniecki, — avaient de quoi nous apprendre, tout au plus, qu’il existait tels genres d’observation intime et d’analyse psychologique où le plus adroit talent d’« adaptation » se trouvait encore condamné à l’échec. Il est vrai qu’on nous offrait aussi, parmi les innombrables articles de ce « déballage » étalé au hasard, des traductions des trois grands romans historiques de Sienkiewicz, Par le Fer et par le Feu, — le Déluge, — et Messire Wolodyowski[2] ; mais quel moyen d’en discerner la valeur exceptionnelle, entre tant de produits qui sollicitaient également notre choix ? Ou plutôt comment ne pas choisir, de préférence, des œuvres d’un abord plus facile et plus engageant, avant de se résoudre à entamer la lecture de ces trois énormes récits de chacun six cents pages, et dont on savait, en outre, qu’ils formaient les trois actes d’une seule « trilogie, » de telle manière que, ayant commencé Par le Fer et par le Feu, l’on serait obligé de « pousser » jusqu’au dernier chapitre de Messire Wolodyowski ?

J’en étais là de ma connaissance de l’œuvre d’Henri Sienkiewicz lorsque, pendant l’été de 1913, j’ai reçu la visite d’un éminent critique et poète polonais qui me faisait l’honneur de m’inviter à écrire une étude sur l’auteur de Quo Vadis ? Et comme, après lui avoir avoué mon extrême incompétence, je m’étonnais de l’admiration presque superstitieuse dont lui-même et tous ses compatriotes entouraient la figure du plus fécond de leurs romanciers, en ajoutant qu’à mon avis non seulement le grand poète qu’était Adam Mickiewicz, mais encore maints conteurs polonais de naguère et d’aujourd’hui me paraissaient avoir plus de droits à l’hommage de leur race, mon

  1. En Vain, traduit par Gaston Lefèvre (1 vol. librairie Perrin).
  2. Ces trois traductions, publiées d’abord à la Revue Blanche, sont aujourd’hui en vente à la librairie Fasquelle.