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n’est pas possible de savoir par quelles phases un tableau, tel que les Pèlerins d’Emmaüs, a pu passer, pour devenir cette œuvre troublante qui ne livre rien de ses secrets d’exécution. En effet, un tableau n’est pas décomposable comme une estampe, dont on a les états, et qui se lit encore mieux sur le cuivre gardant les moindres traces des hésitations, des repentirs, de toutes les transformations coutumières de Rembrandt, lorsqu’il parvenait à mener à bien une œuvre très importante. « Car il esquissait beaucoup de choses, mais il en achevait très peu, » a dit son élève Bernard Keilh, en documentant Baldinucci sur les usages techniques de son maître.

Or, il existe un certain nombre de cuivres gravés de Rembrandt qui ont pu échapper aux retoucheurs du XVIIIe siècle et aux admirations si dangereuses d’un Watelet. Près de trente-cinq planches originales du maître sont suffisamment bien conservées, pour qu’on puisse en déduire tous les élémens de sa technique ; non pas, seulement, ses méthodes d’aquafortiste, mais la marche usuelle des productions de son génie. Car il est évident, pour quiconque connaît à fond les deux pièces capitales de l’œuvre évangélique de Rembrandt, la Pièce aux Cent Florins en gravure, et les Pèlerins d’Emmaüs en peinture, il est certain que ces deux œuvres jumelles, exécutées à peu près vers le même temps, ont subi l’une et l’autre les mêmes hésitations, les mêmes sacrifices, les mêmes repentirs dans l’exécution de la figure principale, celle de ce Christ, si souvent repeint dans le tableau, gravé, gratté et regravé quatre ou cinq fois sur la surface du métal.

Ce sont ces cuivres originaux du maître que j’ai eu l’honneur de présenter, en partie, le 24 juin 1916, à l’Académie des Beaux-Arts, en lui apportant des preuves matérielles de leur authenticité indiscutable, ainsi que des épreuves analogues à celles que possèdent nos grandes collections. Les preuves d’authenticité, pour être éclatantes, ne devaient pas être d’ordre artistique, mais inspirées de cet esprit géométrique que Pascal juge indispensable dans l’Art de persuader ; elles sont du même genre que celles que j’avais proposées lors du vol de la Joconde pour répondre à l’émotion de certains journalistes qui publièrent qu’on reverrait, peut-être un jour, une Mona Lisa au Louvre, mais qu’il serait impossible d’avoir jamais la certitude de l’authenticité du tableau. Or, la Joconde est une peinture