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seulement cette différence notable, qu’au lieu de n’avoir à la fin de l’œuvre que les modestes dimensions d’un air précédé ou non d’une, vingtaine de lignes de récitatif, la voilà qui, après les 150 pages de la Léda sans le Cygne, se prolonge jusqu’à remplir entièrement les deux autres volumes, — risquant peut-être de contrevenir ainsi aux vieilles et vénérables traditions du genre, mais sans que, certes, personne des lecteurs d’aujourd’hui ait l’idée de s’en plaindre !


Tout au plus se rencontrerait-il quelques lecteurs français qui, même en face de la traduction la plus parfaite, ne pourraient pas s’empêcher de regretter que M. d’Annunzio n’eût pas réduit aux dimensions d’un seul les deux volumes de sa Licenza. Car il faut savoir que, pour émouvans et pour « actuels » que soient les sujets traités par l’illustre écrivain dans ce long « appendice » de sa Léda sans le Cygne, ces sujets y sont souvent traités d’une manière, — pour ainsi dire, — purement « musicale, » ou bien entremêlés d’intermèdes où les mots ne tâchent absolument qu’à faire fonction de « musique. » Jamais encore, je crois, dans aucune de ses œuvres en prose, M. d’Annunzio ne s’est aussi pleinement abandonné à sa conception favorite d’un emploi tout « lyrique » de sa langue natale. Il y a dans sa Licenza des chapitres entiers, — par où j’entends des suites de vingt, de quarante pages, — qui ne sont qu’un simple jeu d’images et de rythmes, beaucoup plus pareils à une sonate d’un Domenico Scarlatti ou d’un Claude Debussy qu’à n’importe quel chapitre d’un prosateur, ou même d’un poète, de chez nous[1]. Et il se peut que la chose, comme je l’ai dit, ait de quoi déconcerter un lecteur français : mais je ne crois pas qu’elle risque d’étonner ni d’ennuyer ou de fâcher en aucune façon les lecteurs italiens, accoutumés comme ils le sont tous à une telle utilisation, exclusivement et d’ailleurs adorablement musicale, de leur vocabulaire. Que l’on se rappelle, par exemple, la place considérable que tient ce que je serais tenté de définir le « surplus musical » de la langue d’outre-monts dans la poésie du délicieux Pétrarque, le plus « national » des poètes italiens ! Ou plutôt non : car la patrie de M. d’Annunzio a produit au XVIIIe siècle un autre poète en qui elle s’est reconnue et aimée plus encore, me semble-t-il, que dans l’auteur des Triomphes ; et je ne

  1. On trouverait bien chez Lamartine, dans les Harmonies et dans les Recueillemens, des poèmes qui nous feraient aujourd’hui l’effet de n’être rien que des chants musicaux : mais toujours nous sentons que l’intention primitive du poète a été d’y mettre de la « pensée, » par-dessous ses « cadences. »