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Vannes. Il interrompt ses discours emphatiques et ne fait plus que bégayer les mots niais, de pauvres petits mots qu’on dit pour ne point se taire : « As-tu ton billet ?… Ne le perds pas… Ne te penche pas aux portières… Un accident est tôt arrivé… » Sébastien pleure : « Il sentait ce qu’il y avait de tendresse maladroite et vive, cachée sous ses phrases banales, décousues, dont le ridicule lui était cher… » Une seconde, M. Roch le père s’approche de la réalité ; puis il n’est qu’une marionnette délirante, non pas même une marionnette, taillée, déguisée, contrefaite à la ressemblance de l’humanité ordinaire, mais un symbole exaspéré, l’hyperbole de la sottise endimanchée.

Le roman le moins hyperbolique de Mirbeau, et son chef-d’œuvre, c’est Le Calvaire, son premier roman. Mirbeau, alors, n’a point toute son habileté ; il n’a point toutes ses doctrines ; et il n’a point toute sa rhétorique du style et de la pensée. Il a déjà sa manière franche, sa belle désinvolture, non pas encore le cynisme où il a cru ensuite qu’il était indispensable d’aller pour n’être point un hypocrite et un menteur. Son Jean Mintié est un jeune homme pareil à d’autres, sans vertus énergiques, sans vices fabuleux, démuni de principes et d’habitudes, un petit bourgeois, mais démoralisé. Il rencontre une fille et, pour l’amour de cette fille, perd son temps, sa fortune, sa dignité, tombe dans la pire abjection. C’est une histoire qui n’est pas neuve, et l’histoire d’un Des Grieux. Seulement, ce Des Grieux du Calcaire, c’est aussi un enfant de la Défaite. Il a vingt ans à la Guerre, à l’autre guerre, à celle qui avait détraqué l’âme française pour longtemps. Il a vu la débâcle de nos armées et la débâcle de nos idées. Il ne possédait pas une croyance et il ne possédait pas un caractère qui lui permît de résister à la grande avanie française. Faible jusque dans la rébellion, voluptueux dans la souffrance même, il s’abandonne, il se laisse entraîner à ce qui a plus d’entrain que lui ; et, après la guerre, il continue sa déroute. Le Calvaire est un beau livre, tout plein d’enseignemens.

Et toute l’œuvre de Mirbeau, après cela, refuse les enseignemens du Calvaire, je veux dire les enseignemens que le Calcaire contient dans son intime réalité. Il les repousse ; et il se révolte. L’évangile de l’abbé Jules : — néant ! néant ! néant : — nous avons à le relire cent fois dans l’œuvre de Mirbeau, sous les diverses formes que ses personnages lui communiquent, sous la forme d’une imprécation qu’il profère, lui, comme ses héros furieux. A la fin même, il écarte les personnages, n’ayant plus besoin d’eux, n’ayant plus besoin de ces porte-paroles : et il maudit tout seul la vie et la destinée, les gens et