consommation des siècles, à ce qu’il semble, ne pouvait la
dépasser. » Et, plus précisément encore, il définira la morale
chrétienne « une morale si élevée qu’on peut la considérer
comme définitive. » Or, si cela est, la morale chrétienne n’est-elle pas comme prédestinée à « absorber » la morale de l’honneur elle-même ? Et, d’autre part, quels rapports théoriques et
pratiques existent-ils entre la morale de l’honneur et la morale
chrétienne ? On peut regretter qu’Émile Faguet n’ait pas cru devoir
se poser ces intéressantes, et peut-être essentielles questions.
Il en a aborde d’autres, moins vitales assurément, plus insolubles peut-être, dans le livre qu’il voulait d’abord intituler les Illusions bienfaisantes, et qu’il a fini par appeler les Préjugés nécessaires. « Les préjugés nécessaires, écrit-il, sont des vérités ou des erreurs dont les hommes ont besoin pour vivre en société, que le besoin de vivre en société leur impose comme attachées à lui-même et comme des formes de lui-même; ce sont des aspects diversde l’instinct social, lequel n’est lui-même qu’un besoin non primitif et qu’une nécessité historique ; il ne faut pas les prendre, comme on fait souvent, pour des suggestions ou des formes ou des aspects de vouloir vivre socialement, et c’est pour cela qu’ils changent, se métamorphosent, se substituent les uns aux autres, fléchissent et se relèvent, etc. ; tandis que s’ils étaient des formes du vouloir vivre, ils seraient, au moins, beaucoup moins variables et auraient quelque chose de permanent et d’éternel. » Les principales de ces croyances, formes nécessaires de l’instinct social, sont, d’après lui, l’amour de la vie, le libre arbitre, la morale, les religions, la vie future, la Némésis, la réversibilité des fautes, le culte de la force, l’aristocratie, le mariage, la propriété, le Ama nescire ; et tout le livre est consacré à décrire ces diverses croyances, à en rechercher les origines, à en étudier les luttes et les transformations, à en prévoir les destinées : sorte d’histoire naturelle, comme l’on voit, de l’homme social, où il y a, avec quelques paradoxes, et beaucoup de conjectures, nombre d’idées justes, originales, saisissantes, et que l’auteur, on le sent, a dû écrire comme un roman. De fait, n’est-ce pas un peu un roman que ce livre où l’on nous fait assister à !a naissance et au développement des croyances, ou des « préjugés »