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quand il les apprend, il meurt de honte : c’est toute la pièce. Depuis lors, nous avons connu, au théâtre et même ailleurs, des maris moins scrupuleux. On chuchote sur le passage de Séraphine parce que ses toilettes semblent trop élégantes : combien de ménages avons-nous vus, dont le train de vie ne répondait nullement aux ressources avouées, et qui n’en étaient pas, pour si peu, moins bien reçus et fêtés ? De même certaines scènes avaient scandalisé par l’audace de leur réalisme, celles où parait la marchande à la toilette, qui sont d’ailleurs dans la meilleure tradition classique, notre ancienne comédie n’ayant jamais répugné à mettre en scène usuriers, revendeuses et [autres professionnels de professions spéciales. Mais l’audace d’antan a vite fait de ne plus effrayer personne, et c’est même pour cela qu’elle est d’un si mince mérite en littérature.

Quant à l’élément de drame, ce que nous en apercevons surtout aujourd’hui c’est l’artifice. Tout le mouvement de la pièce consiste dans la révélation successive d’un secret. Étant donné que l’adultère de Séraphine est encore caché, il s’agit d’en avertir tour à tour chacun des intéressés, de façon qu’au dénouement tous les personnages sachent à quoi s’en tenir. Thérèse découvre d’abord que son mari la trompe : c’est le coup de la note de modiste fâcheusement tombée entre ses mains, — puis qu’il la trompe avec Séraphine : c’est le coup du chapeau. Notes de modiste qui s’égarent, portefeuilles qui se perdent, chapeaux révélateurs, petits moyens trop voyans, nœuds qui dénoncent au regard les ficelles du drame, le voilà bien l’héritage de Scribe ! Ici la « scène à faire. » Il faut que Thérèse confonde Séraphine, il faut que l’honnête femme foudroie du regard et fouette de trois mots brefs la coquine : ce sera la scène du bal, scène de style, propice à ce genre d’esclandres et consacrée par l’usage. Pour ce qui [est de Pommeau, puisse-t-il tout ignorer ! Mais le théâtre a ses exigences qui sont impitoyables et n’admettent pas les grâces d’état. En vain ses meilleurs amis organisent-ils autour du bonhomme la conspiration du silence, il apprendra d’abord que Séraphine s’habille trop bien, même pour une personne experte à dénicher des « occasions » merveilleuses, puis qu’elle est entretenue, enfin qu’elle est entretenue par Léon Lecarnier : ce sont les trois stations de son calvaire. Reste Bordognon ; mais celui-là n’a pas besoin qu’on lui fasse de confidences : fin comme l’ambre, il sait tout et devine le reste.

Ah ! ce Bordognon ! Les autres ne nous amusent pas toujours, mais celui-là nous horripile. Nous ne lui en voulons pas d’être le