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Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 42.djvu/936

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banal : la prolongation des objets ou des membres bien connus. Main le sculpteur ?… Il opère dans les trois dimensions et ne peut rien mettre dans l’ombre de la silhouette extérieure de son personnage. L’ombre, pour lui, ou l’impénétrable, ne peut être que le bloc de pierre où il laissera plongé tout un côté de sa figure, tout ce qui n’a pas de rôle expressif, tout le « poids mort. » C’est ce qu’a fait Rodin. L’effet en est certainement excellent. Ses bustes de femmes encore pris à demi dans leur gangue de pierre sont infiniment plus plastiques et plus mystérieusement vivans que s’ils sortaient d’une toilette moderne, même d’une draperie. Et ce n’est guère plus conventionnel, car quoi de plus artificiel et déplaisant que le buste coupé au sternum et emmitouflé de lainages et de soieries à œils de plis et posé sur un socle ? Nos meilleurs statuaires font des prodiges d’adresse pour se tirer de cet embarras. Rodin s’en est tiré en ne faisant rien, et l’on ne peut dire qu’il s’en soit mal tiré.

L’autre chose qui choque le plus dans la technique de Rodin, c’est cette multiplicité de ressauts, de bosses minuscules, de « pastilles, » répandus sur la surface de ses bronzes, et de fossettes et de petites ondulations sur ses marbres ou ses plâtres. En même temps, on est toujours surpris de la vie lumineuse qui circule sur ces surfaces. Cela est la condition de ceci. C’est pour capter les rayonnemens de l’atmosphère et les fixer sur ses figures qu’il a usé de ces visibles stratagèmes. Il disait, un jour, à un critique anglais : « Ç’a été le travail de ma vie… Pendant quarante ans, j’ai cherché cette qualité de lumière : je l’ai trouvée dans le modelé : c’est le modelé qui produit l’effet de l’atmosphère, qui donne la vie à la statue. » Il est certain que la lumière ne joue pas sur le grain de la peau, sur un cou, sur une épaule, sur une gorge, comme sur le grain serré du marbre ou là coulée du bronze. La terre cuite, elle-même, qui prend plus aisément que le marbre les moindres inflexions et accuse plus vivement les ombres avec moins de saillies, est, comme matière, trop différente de la chair pour en reproduire les modalités. Au contact de l’air, et du soleil, il y a, sur toute la surface de l’enveloppe tactile, mille frémissemens que n’a pas une colonne de marbre plongée dans la même atmosphère. La nature même de l’épiderme, avec ses mille accidens, n’est pas non plus comparable à celle du marbre : c’est seulement une pierre friable et effritée, vieillie au contact des élémens, ayant