Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 42.djvu/956

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

proche, ne pouvait-elle lui être tendue ? Cette main, ne pouvions-nous pas nous-mêmes la prendre et la guider pour la lui tendre ? Six cent mille Roumains, trois cent ou quatre cent mille soldats intacts à ramasser dans la Russie du Sud, ce serait en tout une armée d’un million d’hommes, de quoi maintenir un front oriental et fixer une armée austro-allemande. S’il n’est pas entièrement impossible de le faire, et si ce n’est pas décidément trop tard, il faut de toute nécessité y travailler, ne fût-ce que pour rompre le charme mauvais qui, en trois ans, aura fait une Belgique martyre, une Serbie martyre, une Roumanie martyre, sous les yeux d’une Entente, non pas, certes et Dieu merci! indifférente, mais impuissante. Combien de tort ne nous a pas causé, chez certains neutres, cette épithète qu’on nous a perfidement et obstinément attachée : les « impuissans» Alliés, les impotentes Aliados ! Pour être les plus puissans, que nous a-t-il manqué, alors que nous avions tout le reste, et que nous l’avions en surcroît ? De voir, de savoir, de vouloir et d’agir. De faire la guerre de tout notre pouvoir, de ne pas, en quelque sorte, la laisser se faire d’elle-même, sans la « penser » et sans la diriger. De ne pas la traiter fragmentairement, en décousu, par petits paquets et par petits bouts. En d’autres termes, d’avoir un plan, et, pour en avoir un, d’avoir un commandement et un gouvernement.

Au fur et à mesure que, par la fuite même du temps et la lassitude des peuples, le dénouement se rapproche, la nécessité s’en fait d’autant plus ardemment sentir que le drame se resserre autour de nous, en Occident. A peine entrés dans l’institut Smolny, avec escalade et effraction, Lénine et Trotsky n’ont eu rien de plus pressé que d’ouvrir des pourparlers à fin d’armistice, si ce n’est de publier les traités « secrets » conclus par la Russie avec les autres États de l’Entente, depuis le mois d’août 1914. Reprocherons-nous à ces personnages une incorrection qui, en soi, mériterait d’être taxée très durement ? Ce serait montrer plus de dépit ou de ressentiment qu’il ne convient. Ce serait accuser un coup qui ne nous a pas touchés. Il n’y a pas un article, pas un paragraphe, pas une phrase, par une ligne des textes que Trotsky se flatte d’avoir découverts, et par la révélation desquels il espère avoir tué la « diplomatie secrète, » — comme s’il pouvait y en avoir une autre, comme s’il ne convenait pas d’abord de s’expliquer sur la « diplomatie » et sur le « secret ! » — il n’y a pas un mot qui soit pour nous causer la moindre gêne, que nous ne soyons prêts à avouer et soutenir publiquement. Un de nos ministres a cru bon de parler au Tsar non seulement de la restitution pure et simple de