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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/297

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d’armée à la force musculaire qu’il pouvait employer pour maintenir son autorité, n’ont jamais songé à le mettre à leur tête. Il fallait un biceps qui lui faisait défaut. Mais s’agissait-il de choisir les soldats, il comptait parmi les meilleurs et son nom sortait l’un des premiers. S’il ne possédait pas la force, il avait pour lui l’agilité, l’adresse, le coup d’œil, la prudence et la ruse. Son jeu était personnel. Il admettait très difficilement les observations de ses chefs et entendait agir à sa façon. La bataille engagée, il s’attaquait toujours aux plus forts et visait de préférence ceux de ses camarades qui occupaient les grades les plus élevés. Comme un chat, d’une souplesse merveilleuse, il se glissait le long des arbres, se jetait à terre, rampait le long des barrières, se faufilait à travers les jambes de ses adversaires et, bondissant, il emportait triomphant une quantité de brassards. C’était pour lui une grande joie de porter à son général les trophées de sa lutte. Les deux mains appuyées sur ses jambes, le visage radieux, il regardait d’un air narquois ses adversaires surpris de son adresse. Sa supériorité sur ses camarades se faisait surtout remarquer dans les batailles livrées dans les bois de Bellevue. Le champ était plus vaste, l’occasion de surprendre ses adversaires plus variée. Il se dissimulait sous les feuilles mortes, s’accrochait aux branches des arbres, rampait le long des ruisseaux et des ravins. C’est lui qui, bien souvent, était chargé d’indiquer l’emplacement des drapeaux. Mais il ne voulait jamais s’en constituer le gardien. Il ne craignait rien tant que l’immobilité et préférait se jeter dans les bois à la recherche de ses adversaires. Le trajet du collège aux bois de Bellevue se passait dans l’élaboration de plans divers ; il discutait celui de ses camarades et voulait toujours avoir le dernier mot. Le retour était marqué par une critique acerbe qui dégénérait bien souvent en querelle. »

Portrait étonnant où transparaissent presque tous les traits du futur Guynemer, de Guynemer à la bataille. Il ne tient pas à commander, il aime trop à se battre, il est déjà le chevalier aux combats solitaires. Son jeu est personnel. Il entend n’agir qu’à sa façon. Il s’attaque aux plus forts : ni le nombre ni la taille ne l’arrêtent. Sa souplesse, son adresse sont sans égales. Ses muscles ne lui permettent pas d’être un bon gymnaste : aux barres parallèles, à la barre fine il désespère ses moniteurs ; il y suppléera par quoi ? par la volonté.