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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/355

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mais qu’il faut les combattre tous les deux. Il y a certainement là un commencement de clairvoyance sur la racine mystique de l’esprit jacobin, quoique les caractères présentés comme essentiels à cet esprit soient superficiellement choisis et, en réalité, secondaires : car le fond, comme celui de tout mysticisme, en est à notre avis dans un effort de conquête appuyé de quelque alliance métaphysique. Si d’ailleurs le cléricalisme, qui est la religion chrétienne réduite à l’état d’instrument politique, ne peut pas grand’chose en effet contre ce mysticisme façonné à l’exacte mesure des appétits démagogiques qui est la doctrine de Rousseau dans sa ramification sociale, il n’est pas exact, selon nous, que la morale chrétienne rationnel le soit sans efficacité contre cette maladie de l’esprit moderne. Elle en est certainement l’un des remèdes.

Six mois encore, et le 12 juillet 1873, l’historien des Origines renseignera Guizot, ce patriarche, de la philosophie de l’histoire, sur les résultats préliminaires de la vaste enquête entamée par lui deux années auparavant. — L’idée qu’on s’est faite de l’homme et de la société au xviiie siècle, était, dit-il, d’une fausseté prodigieuse et, de plus, en parfait désaccord avec ce qu’enseignaient les premiers esprits de ce temps, un Voltaire, un Montesquieu, un Buffon. — Et certes, remarquerons-nous de notre côté, ces trois penseurs, restés suffisamment rationnels en leur conception de la vie, se sont peu écartés de la psychologie classique en un siècle qui lui a si rapidement tourné le dos dans sa seconde partie. Encore Buffon, venu le dernier des trois, a-t-il fait quelques concessions à la psychologie de son temps. Mais Taine ne mentionne pas ici Rousseau ! Or, la venue de ce prophète lui eut facilement expliqué le « désaccord » qu’il constate entre l’opinion moyenne et les grands esprits de l’époque ; elle lui eût conseillé au surplus d’opposer entre eux, bien loin de les identifier, l’esprit classique quelque peu survivant dans les publicistes réfléchis qu’il vient de nommer et l’esprit jacobin issu de la prédication de Jean-Jacques. Avec le xixe siècle presque tout entier, il a continué d’envisager Voltaire, Montesquieu et Rousseau comme ayant travaillé de concert aux événemens de la fin du xviiie siècle au lieu de montrer Rousseau travaillant à peu près directement contre les suggestions politiques de Montesquieu et de Voltaire.

Ce n’est pas que la vie ne l’ait fait de plus en plus clair-