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élevions la voix en l’honneur du maître, nous qui, depuis longtemps, aimions son art robuste et le jeu éblouissant de son imagination, et faisions confiance à son clair bon sens de montagnard indépendant et critique.


Cari Spitteler avait largement dépassé la cinquantaine quand la notoriété, puis la célébrité, lui sont venues[1]. Il s’est mûri dans la solitude et dans l’exil : solitaire dans sa patrie suisse, au cours d’études juridiques, puis théologiques, qui l’ont conduit aux solutions les plus négatives ; solitaire dans ses années de préceptorats lointains, en Russie et en Finlande, plus seul encore au retour lorsque, pareil au héros de son roman d’Imago, il a plus cruellement ressenti les ridicules et les mesquineries de son milieu bourgeois et de sa petite ville. Cette solitude s’est aggravée d’amertume et de dépit quand la première œuvre, celle où vivaient enfermées toute sa jeunesse méditative et toute son orgueilleuse ambition, a sombré dans l’indifférence d’un public et d’une critique gagnés à de tout autres tendances. De là sont venus au poète et ont germé dans son âme un courage combatif, une violence contenue, une totale indépendance d’esprit qui donnent à Spitteler son originalité vigoureuse parmi les écrivains de ce temps. La tendance polémique, et trop souvent didactique, de son œuvre tient par de profondes racines à son tempérament et à sa destinée. Mais, à vingt ans, il est tout entier formé, ce caractère inflexible, impitoyable aux autres et à lui-même, cet esprit exigeant et perspicace : en vain des amis l’engagent à faire imprimer ses premiers essais poétiques, il refuse et se condamne par-là, il le sait, « à rester toute sa vie un aristocrate en littérature : publier une œuvre imparfaite lui eût semblé une honte éternelle, pire qu’un vol[2]. »

  1. Carl Spitteler, né en 1845, à Liesthal (canton de Bâle-Campagne), a publié les volumes suivans : Prometheus und Epimetheus (1881), Extramundana (1883), Schmelterlinge (1889), Friedli der Kolderi (1891), Gustav (1892), Literarische Gleichnisse (1892), Balladen (1893), Der Gothardt (1897), Conrad der Leutnant (1898), Lachende Wahrheiten (1898 ; 2. édition augmentée, 1905), Die Maedchenfeinde (1903), Imago (1906), Glockenlieder (1906), Meine Beziehungen zu Nietzsche (1908), Olympischer Frühling (1900-1905 ; 2e édition remaniée, 1909), Meine frühesten Erlebnisse (1914), Unser Schweizer Slandpunklt (1915).
  2. Les détails biographiques qui suivent sont empruntés a deux brochures de Carl Meissner (Iéna, 1912) et de Robert Faesi (Zurich, 1915) sur Carl Spitteler.