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Par ses origines, Spitteler appartient à la petite bourgeoisie aisée, mi-campagnarde, mi-citadine, du canton de Bâle. Son enfance s’est écoulée à Liesthal et à Bâle, mais surtout à Liesthal où son père, fonctionnaire cantonal, possédait une maison. Ses souvenirs de tout petit enfant, heureux de vivre au soleil, de jouer avec les cailloux et les herbes, de se faire caresser par sa grand’mère et ses tantes, sont demeurés en lui intacts et vivans jusqu’à ce jour et forment, nous dit-il, « sa plus belle collection d’images et son livre poétique favori. » Le recueil de ses Premiers souvenirs, tout illuminé de soleil et de tendresse, se distingue d’autres volumes analogues par la préoccupation constante de rattacher le rêve à la réalité, la vision poétique à l’impression reçue : comment se forment les premiers rêves, comment les impressions de la journée, transfigurées ou prolongées dans l’espace et dans le temps, donnent naissance aux rêves, premier germe des visions poétiques ultérieures, à quel point la personnalité, l’âme est déjà formée dans l’enfant, tels sont les problèmes qui ont intéressé Spitteler, lorsqu’il a ressuscité ses quatre premières années d’enfance. De ces souvenirs on peut conclure qu’il a été de bonne heure un visuel et un imaginatif ; il note comme les grands événemens de son enfance la première fois où il a vu couler un fleuve, le jour où il a pénétré dans une forêt, la première fois qu’il a reçu une averse en plein air. Enfant vigoureux, sain, voire turbulent, il a été aussi le petit rêveur précoce qui se plaignait qu’on vît dans les champs « trop de corbeaux et trop peu de cigognes, » et qui passait de longs après-midi d’automne à la fenêtre, à espérer les défilés de soldats en armes et de botes fauves que lui suggérait son imagination. La vérité l’oblige à reconnaître qu’il est une fois passé un chameau dans la rue de Liesthal, mais, hélas ! pas le moindre rhinocéros, pas le plus petit éléphant à sa suite !

Adolescent, il a longtemps cherché sa voie. L’essentiel lui paraît être d’exprimer ces images, ces visions de l’enfance si vivantes en lui, et l’émoi de l’adolescence, le rêve, la méditation de l’âge viril. A dix-sept ans, il s’est cru peintre, ou peut-être musicien. Puis il a choisi d’être poète. La poésie lui a semblé la forme d’expression la plus satisfaisante, celle qui