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considérer la Pologne (russe), la Lithuanie, l’Esthonie, la Livonie, la Courlande comme dès à présent détachées de la Russie, ce n’est pas de la main, mais du pied, que M. de Hertling en écarte la proposition. D’autant plus impertinemment qu’il commence à avoir des doutes sur l’autorité et la solidité du soi-disant « gouvernement de la République russe. » Ce qui eût intéressé l’Allemagne dans les conversations de Brest-Litovsk, c’eût été, comme elle en a marqué manifestement le désir, d’y amener toutes les puissances de l’Entente, dans le dessein soit d’en faire sortir la paix générale, soit d’embrouiller entre]elles les choses assez pour les brouiller. A défaut de ce grand résultat, c’eût été du moins de faire avec la Russie tout entière, avec toutes les Russies, une paix séparée qui, en supprimant le front oriental, en permettant de n’y maintenir qu’une force de police, rendît aux Empires la libre et pleine disposition de leurs armées.

Lénine et Trotsky seuls, et Pétrograd tout seul, ou même le fragment, plus ou moins gros, de Russie bolchevik les intéresse beaucoup moins. Il leur importe peu, n’ayant affaire qu’aux extrémistes, d’en obtenir la paix, s’ils savent qu’ils n’en peuvent pas redouter la guerre. Mais, en revanche, l’Allemand, l’Autrichien, le Bulgare et le Turc ont eu tort de se précipiter à Brest-Litovsk. Les délégués russes, quelque peu clairvoyans ou quelque complaisans qu’on les ait supposés, ont pu mesurer l’épuisement de la Quadruplice. Nous avons à ce sujet des déclarations de Kameneff qui sont tout à fait instructives. Et c’est, quant à nous, ce qui nous intéresse vraiment, parce que c’est ce qui peut et ce qui doit nous servir à régler notre attitude.

Qu’ils concluent là-bas ou qu’ils rompent, ne disons point que fort peu nous chaut ; ne faisons fi de rien ni de personne ; mais disons que, dans l’état des choses, c’est, pour le succès de notre cause, secondaire. S’ils étaient d’accord à l’avance, il est probable qu’ils resteront ou se retrouveront d’accord. Et il est probable, s’ils ne l’étaient pas, qu’ils ne réussiront pas à s’y mettre. Nous verrons alors ce qu’ils feront. Mais nous, ce que nous avons à faire est tout vu. Tenir. Les Empires du Centre n’ont qu’un coup, compliqué ou géminé, mais toujours le même, celui qu’ils ont réussi en Russie, essayé en Italie, amorcé en France, esquissé en Angleterre, préparé aux États-Unis, et qui pourrait se définir, diplomatiquement et militairement, la rupture à la charnière : passer dans les jointures de l’Entente la pointe du couteau. Tenir donc, et nous tenir. Si nous tenons bien, si nous nous tenons bien, il y a des apparences que ce ne sera peut-être plus aussi long qu’on aurait pu le craindre. D’un très haut poste d’observation