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qui va le prendre, l’envoûter, le posséder. Certes, il conduira encore au-dessus des lignes ennemies le lieutenant de Lavalette, le lieutenant Colcomb, le capitaine Siméon, et toujours avec le même calme. Mais, dès lors, il aspire à d’autres courses, plus détachées de la terre. Le lieutenant de Beauchamp, — le futur capitaine de Beauchamp qui devait mourir si vite après ses raids audacieux d’Essen et de Munich, — a deviné ce qu’il y a chez ce mince garçon qui veut brûler les étapes. Il n’accepte pas que le caporal Guynemer l’appelle : mon lieutenant, tant il pressent un égal, et demain un maître. Le 6 juillet (1915) il lui envoie, en quelques lignes, un petit guide de l’aviateur : « Soyez prudent. Regardez ce qui se passe autour de vous avant d’agir. Chaque matin invoquez saint Benoît. Mais surtout inscrivez en lettres de feu dans votre mémoire : En aviation, tout ce qui est inutile est à éviter. » Ah ! bien oui ! la « petite fille » se rit des conseils comme de la tempête. Il admire Beauchamp, mais quand les Roland ont-ils cédé aux objurgations des Olivier ? Il part un jour par un vent de plus de 25 mètres. En cabrant un peu, il réussit à peine à avancer. Vent arrière, il dépasse les 200 kilomètres. Il atterrit. Védrines lui adresse quelques observations. On le croit calmé : devant les spectateurs effarés, il repart. Il en fera toujours trop, et nul ne le pourra retenir.

L’importance que l’aviation devait prendre dans la guerre n’avait été prévue ni par les Allemands, ni par nous-mêmes. Si, dès avant l’entrée en campagne, le commandement avait envisagé tous les services que rendrait la reconnaissance stratégique par avion, le réglage d’artillerie n’était encore qu’en expérience. On ignorait le parti qu’on tirerait un jour de la photographie aérienne. Le duel aérien était considéré comme un simple incident possible de patrouille ou de reconnaissance, en vue duquel l’observateur ou le mécanicien se munissait d’un fusil ou d’un pistolet automatique. L’installation d’une mitrailleuse à bord était exceptionnelle (le lieutenant Martinet, escadrille C 13, en avait une en janvier 1915). Les Allemands en ont généralisé l’emploi avant nous, mais ce sont nos aviateurs qui les ont néanmoins contraints au combat. J’eus la chance, en octobre 1914, d’assister, d’une colline de l’Aisne, à l’un de ces premiers combats d’avions qui se termina par la chute de l’ennemi aux abords du village de Muizon, sur la rive gauche