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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/58

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ou plus exactement d’après les enseignemens de la guerre actuelle, — qu’aucun groupe de nations ne menace plus l’indépendance des autres. En même temps que la paix, les hommes d’Etat auront pour devoir impérieux de fonder quelque chose de plus résistant, de plus solide, que les essais de stabilisation tentés dans le passé. Le dernier fut l’œuvre du Congrès de Vienne après l’effondrement du colosse napoléonien. Là encore on n’avait tenu aucun compte, pas plus qu’aux siècles précédens, des nations elles-mêmes, seule base réelle où puisse reposer la coexistence des États. Les plénipotentiaires des Puissances victorieuses découpèrent des territoires suivant le système des compensations et des indemnités, en se partageant les habitans comme des serfs attachés au sol. La Prusse revendiquait 3 400 000 âmes : on les lui donna en quatre lots, taillés dans des régions différentes de l’Allemagne. Et pourtant l’œuvre du Congrès de Vienne et l’équilibre qu’il avait institué, si mauvais fut-il, se sont maintenus durant cinquante ans, ce qui n’est pas pour décourager les ouvriers de la paix future. La seconde décade de chaque siècle, depuis l’inauguration de l’époque moderne, aura vu ainsi une reconstruction de la vieille Europe sur des assises nouvelles. Mais jamais le travail n’a exigé plus de peine que cette fois-ci ; jamais les fondations n’ont été plus ébranlées, le sol plus bouleversé, les matériaux plus éprouvés. L’écroulement de l’Empire russe a modifié toute la partie orientale de l’édifice. Est-il encore possible de la reconstruire, ou bien l’Europe demeurera-t-elle politiquement séparée, comme au moyen âge, de la grande Slavie, retournée au chaos, désarticulée en républiques fragmentaires ? Bien avisé qui le pourrait dire.

Les apôtres de l’évangile impérial, prêché par Treitschke et l’école historique de Berlin, n’ont pas assez de moqueries pour l’équilibre européen, cette vieillerie démodée, ravaudée après chaque période de guerre par une diplomatie formaliste et tatillonne. Mais la réapparition d’une Prusse conquérante sur la scène allemande, les spoliations exécutées par elle et l’état instable de la paix armée qui s’en est suivi pour s’engloutir dans la catastrophe de 1914, ont prouvé de façon péremptoire la nécessité, de reprendre à pied d’œuvre la conception des architectes du passé et de lui forger une armature indestructible. Un équilibre européen, après l’expérience que nous subissons,