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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/110

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des raffinemens, du luxe, de la vie mondaine. Ce Paris, avec ses tournois, ses carrousels, ses joutes, ses bals d’hommes sauvages, ses modes excentriques, ses tailles pincées, ses manches, ses élégances baroques, ses chaperons, ses traînes en dents de scie, en crêtes de coq, ses chaussures à la poulaine, qui donnent aux femmes et aux hommes un aspect bizarre et cornu d’insectes, de cerfs-volans ; ce Paris, avec ses caprices, ses disputes, ses écoles, son immense foire permanente de systèmes, d’oripeaux et de bijoux, avec sa montagne latine, ses halles de Champeaux, ses banques, ses Juifs, ses Lombards, avec ses fortunes scandaleuses, l’insolence de ses nouveaux riches, les Braque, les Montaigu, dont on voit la fortune s’enfler comme une bulle, jusqu’au jour où l’on envoie le parvenu rendre gorge et tirer la langue à Montfaucon ; ce Paris turbulent, tumultueux, délicieux, avec sa foule de princes, son perpétuel carnaval, ses rois de Majorque, de Navarre, de Bohême, d’Ecosse, y menant loin de leurs États la vie de grands seigneurs, — « et saouloient venir solacier à Paris l’empereur de Grèce, l’empereur de Romme et autres roys et princes de diverses parties du monde ; » — ce Paris d’un siècle d’argent, de jouissances et de course à l’abîme, au milieu d’un tourbillon de plaisirs, sous la marotte d’un roi fou, — offre un spectacle déjà singulièrement moderne, une de ces visions de rue Quincampoix qui feraient hésiter sur la date d’un vertige qui s’est reproduit à tant de reprises dans notre histoire. Et avec tout cela, déjà ce charme qu’on n’oublie plus. Il faut lire dans Jean de Jandun ou dans Guillebert de Metz ces impressions d’éblouissement que laisse à l’étranger la visite de la Ville Unique. « Etre à Paris, c’est être absolument, simpliciter ; partout ailleurs, on n’a qu’une existence relative, secundum quid. » Ainsi s’exhalait de Paris cet air qu’on ne respire que là, ce parfum de la douceur de vivre.

Un tel monde, dont le pareil n’existe nulle part en Europe, est le milieu privilégié pour l’art et les artistes. C’est dans des conditions semblables que s’opèrent naturellement les changemens du goût. Ce qui préserva l’art toutefois des dangers d’une évolution trop rapide, ce qui le sauva de l’anarchie, ce fut le pouvoir royal. L’art du XIVe siècle est au plus haut degré un art officiel. Les Valois ont eu de bonne heure cette idée, de se servir de l’art comme d’un instrument de règne, d’en faire un signe de leur puissance et un moyen de gouvernement.