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chef-d’œuvre de l’art, cet autre sanctuaire de l’âme et de l’histoire françaises, la cathédrale de Reims. Mais il n’avance pas. Il ne débouche de nulle part, il piétine, il est contenu. Le Kronprinz ronge son frein entre Montdidier, Lassigny et Noyon. De quelque côté qu’il nous tâte, sur l’Ailette ou sur l’Oise, il trouve le morceau trop dur. Le quartier-maître impérial a mal étreint, ayant voulu trop embrasser. Bien qu’il n’ait pas de plan « arrêté, » pourtant il avait un dessein. Quand il a bâti, ébauché ou échafaudé son projet, il avait en face de lui deux ou trois armées sous des chefs différens. Il avait compté sans le commandement unique, dont il croyait l’institution impossible chez ses adversaires. Désormais, les bienfaits de l’unité se font sentir à notre profit et à ses dépens. Si les réserves de Foch l’inquiètent jusqu’à l’anxiété, ce n’est pas seulement parce qu’il ne sait pas où elles sont ni combien elles sont; c’est d’abord parce que ce sont des réserves. Feintes, sondages, attaques, assertions, insinuations, appels, provocations, il n’épargne rien, ne néglige rien, ni sur le terrain, ni à l’arrière, pour forcer Foch à découvrir et à abattre son jeu. Mais le généralissime du front occidental est absolument résolu à jouer son propre jeu, avec ses propres cartes. Il n’ignore pas plus que Ludendorff que le dernier quart d’heure décidera du sort de la guerre, et qu’en ce sens la victoire est une question de réserves. Les « moyens provisoires » de ses adversaires, en leurs transformations successives, ne l’étonnent ni ne le déconcertent; leur défaut de plan arrêté, loin de l’intriguer et de le troubler, le rassure, car il connaît de vieille date que l’Allemand ne brille pas par la souplesse et n’est pas grand improvisateur. Lui-même, s’il a son plan, il a aussi « son moyen provisoire, » qui est de garder, tant qu’il le faut, le plus qu’il le peut, ses réserves intactes. Et ce moyen n’est pas le plus mauvais, le moins efficace, puisque les Allemands cachent à peine qu’ils en redoutent l’emploi opportun, et font mille horreurs, après mille grâces, pour le « brûler» avant le dernier quart d’heure.

La preuve que les choses ne vont pas admirablement à leur gré est dans la pression qu’ils tâchent d’exercer sur les neutres, leurs plus proches voisins, sur la Suisse, la Hollande, et tel ou tel des États Scandinaves. Dès que l’Allemagne n’a pas de quoi s’exalter et s’étaler, elle se rencogne, se renfrogne et devient plus hargneuse. Si sa chance insolente se lasse ou la boude, elle en accuse tout le monde, sauf elle seule, et elle prétend en faire supporter le dommage aux autres. Il faut toujours qu’elle triomphe : quand ce n’est pas de l’ennemi, c’est des neutres : au moins ne s’abuse-t-elle pas là-dessus,