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qu’elle a pour ennemis, déclarés ou non, tous les peuples dont se compose le genre humain. Ce qui ne signifie pas que tous les peuples sont ses ennemis déclarés, mais qu’elle est l’ennemie virtuelle et secrète de tous. Il y a des années et des années que, de toutes ses chaires, tous ses pédans lui chantent un grossier : Tu, regere imperio populos... Surhomme, Surétat, l’Allemand et l’Allemagne professent et travaillent à appliquer la plus naïve comme la plus féroce doctrine de « prépotence. » Et cette doctrine s’exprime, avec une sorte de fatuité ingénue, qui serait risible, si elle n’était odieuse. Il faut, c’est le mot, il faut que, si l’Allemagne veut passer, et partout où il lui aura plu de passer, elle passe. En août 1914, elle ne pouvait pas passer par les Vosges et par les Hauts-de-Meuse : il a fallu qu’elle passât par La Belgique. Elle n’a pu, depuis bientôt quatre ans, forcer la serrure de Belfort : elle a certainement songé, et il n’est pas certain qu’elle ne songe pas encore à passer par la Suisse. Il ne lui suffit plus, pour ravitailler et réapprovisionner en munitions ses armées monstrueuses, pour entretenir en hommes ces armées mêmes, de passer par la Belgique et par le Luxembourg ; il faut qu’elle passe par l’Escaut et par le Limbourg hollandais. Ses mésaventures maritimes et aériennes, s’ajoutant à ses déboires terrestres, les accidens, parfois les catastrophes, qui font tourner en échec complet ses demi-succès, accroissent pour elle cette nécessité, mais, pour elle aussi, on le sait, nécessité n’a pas de loi. L’arrêt de toutes ses offensives, l’ « embouteillement » ou « l’embouteillage. » ne fût-il que provisoire, d’Ostende et de Zeebrugge, la destruction, ne fût-elle que partielle, des ateliers et des hangars de Friedrichshafen, la pressent et la poussent, la jettent dans les voies hasardeuses, n’importe par où il lui semble que la force allemande pourrait passer. Aussi, de quel ton parle-t-elle aux neutres qui ont le tort d’être en travers de son chemin? Puisque le reste du monde a secoué sa tyrannie, qu’elle retombe et pèse sur les neutres de tout son poids! Ils apprendront que, lorsqu’il faut que l’Allemagne passe, elle ne connaît plus de neutres, et que, pour garder la neutralité, on doit être deux, celui qui se reposait en elle, et celui qui est tout prêt à la violer.

Envers les Pays-Bas, l’Allemagne a commencé par vouloir exploiter, selon son habitude, ses premiers succès de Picardie et des Flandres, son avance surprise ; puis, à mesure que ses armées se sont figées sur place, comme les vagues d’une mer qui gèlerait, et qu’elles ont senti le terrain mouvant sous elles, ses réclamations se sont faites plus impérieuses. Les motifs ou les prétextes invoqués se sont peu à