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hésite entre l’étonnement et l’ennui. Pendant que leurs maris les accompagnent sur le flageolet et le tambourin, elles chantent, négligemment assises, sans gestes, les paupières closes, avec de longs trémolos dans la voix ; et les danses qu’elles font, moins symboliques et plus agitées que les danses japonaises, sont indiciblement puériles. Mais enfin cette puérilité a quelquefois son charme. Je suis allé aux portes de Séoul visiter une petite bonzerie de nonnes, où, le dimanche, les citadins viennent se rafraîchir et collationner. L’endroit est agréable ; et la chapelle des Bouddhas dorés, remarquablement propre, si on la compare aux huttes qui forment le monastère. Je cherchais les bonzesses : « Vous les avez à vos pieds, » me dit mon compagnon. Grosses, taillées à la serpe, enveloppée de torchons, elles dormaient à poings fermés sur des nattes couvertes de suie, près de leurs marmites mal récurées : je les avais prises pour des hommes. Dans le peuple, à la campagne et souvent à la ville, les femmes laissent pendre, entre un boléro trop court et le tablier qui leur sert de jupe, leurs seins nus et flasques. De loin, vous diriez des marchandes de gourdes. Celles de Taïku portent des chapeaux extravagants où je les ai vues s’asseoir. Elles disparaissaient à moitié dans ces conques.

Seuls, les hommes en deuil en pourraient faire autant. Ils se coiffent jusqu’aux épaules d’une énorme cloche de paille. Elle retranche du reste des humains le fils coupable de n’avoir pas su empêcher ses parents de mourir. On s’écarte de l’infortuné qui ne voit plus rien, n’entend plus rien du monde extérieur. C’était grâce à ce monument isolateur que jadis nos missionnaires circulaient dans les villes coréennes où les guettaient la torture et la mort. Mais, en temps ordinaire, les Coréens, perdus dans l’ampleur de leurs vêtements, se posent sur la tête un couvre-chef aux bords plats, dont la forme, étroite et ronde, en baguettes de bambou et en toile de crin, tient à la fois du garde-manger et de la cage d’insectes. Quelque chose y frétille : c’est le chignon, ou le bout du bonnet relevé comme un chignon, de l’homme marié, de l’homme qui a le droit de prendre la parole dans l’assemblée des autres hommes. Un cordon, très simple ou orné d’ambre, attaché sous le menton, le maintient en équilibre. Mais c’est un « équilibre instable, et le Coréen marié a toujours l’air de traverser la vie publique avec l’unique souci de garder son