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taillis… On espère une apparition faunesque. Et quand le sanglier saute dans l’éclaircie, noir, hérissé, la queue en vrille, on n’est presque pas déçu… et le trot léger des loups sur les feuilles mortes… leur tête fausse et oreillarde qui s’encadre dans les ronces, regarde, s’évanouit, sans qu’on puisse dire par où… Et la silhouette falote des renards sur la neige !… Je m’exalte en pensant à tout cela !… »

A son tour, pour célébrer la nature, Claire trouve des accents lyriques : « O Robert, que voilà bien le frère et la sœur ! Depuis leur naissance ensevelis dans un vieux château, consumés du chagrin de ne rien être, ils supplient la forêt, le vent, le nuage de leur chanter la vie. Moi qui ai peu lu et entends dire sans cesse que tout est mal à notre époque, c’est la vie du passé que les choses me peignent… Toi, tu les interroges sur l’avenir. Lequel a raison ? » (Les Fossiles.)

De fait, Robert ne se contente pas d’aimer et de peindre la nature en poète, il se met à son école et lui demande la loi de la vie. En proie, lui aussi, à cette inquiétude des vrais aristocrates qu’attire et que repousse le monde moderne, il aime la forêt qui lui révèle la lutte pour la vie et la loi de la sélection naturelle ; mais il perçoit la leçon démocratique de l’océan où « des vagues, toujours pareilles, viennent en troupeau s’ébattre sur la plage, toutes également parées d’un rayon de soleil, toutes également petites par le calme, toutes également hautes par la tempête. » Et quand, devant ces images contradictoires, il demeure désemparé : « Il faut me plaindre, écartelé que je suis entre le forestier et le marin, l’homme des futaies et l’homme des vagues, » nous n’avons pas envie de sourire. Ce ne sont pas là plaintes savantes de littérateur, mais aveux ingénus d’une âme noble et incertaine, qui participe aux ignorances de la nature comme à sa grandeur.

Cet art d’employer le décor à l’expression pathétique des idées ou des sentiments, nous le retrouvons au dénouement des Fossiles et du Repas du lion. Jean de Sancy meurt dans cette maison forestière qui fut la maison de ses jeux enfantins ; il meurt en voyant flamber ce bois du Seigneur qu’il voulait arracher à l’usine envahissante ; et pour dernier geste, il s’accroche à une branche verte, fragile, hélas ! comme ses rêves. Celle qu’il aimait, lui aussi, comme l’image du passé féodal, celle qu’il avait associée à toute sa vie sentimentale, disparait avec