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autour d’un point qui pour nous s’en fait le centre… Nous sommes en retard des renseignements que nous fournira un papier venu de Paris. » Il ajoute, non sans ironie : « Il nous faut l’attendre pour connaître nos âmes ! » Cette vérité sur la guerre, que les premiers acteurs du drame sont ceux qui en saisissent le moins les grandes lignes, Stendhal, dont je parlais, l’avait déjà démêlée, et, après lui, son élève Tolstoï. Aussi ont-ils raconté, l’un Waterloo, l’autre Austerlitz, par menus épisodes. A lire le Verdun du sous-lieutenant de la 11e du 151e, on sent qu’il manque pourtant un élément aux tableaux de ces maîtres. Ne montrer d’une bataille que des accidents isolés, pour ce motif que les combattants n’en voient pas d’autres, ce n’est pas la montrer vraiment. Il faut encore, — et ni Stendhal, ni Tolstoï n’y ont bien réussi, — rendre sensible le phénomène d’interpsychologie qui donne à cette bataille son unité vivante, qui en fait une personne morale. Si étrange que paraisse cette expression, comment en employer une autre ? Quand Napoléon disait : « L’armée de Wagram n’était déjà plus l’armée d’Austerlitz, » il signifiait que l’âme collective de ses soldats ne vibrait pas au même diapason dans les deux rencontres. D’où cette différence de physionomie qui distingue ces victoires, et qui ne tient pas seulement aux particularités de lieux, d’effectifs, de saison, de commandement, de résultat. C’est une caractéristique plus intime qu’il est malaisé de définir, mais que les intuitions de la légende discernent si bien ! La valeur du livre de Raymond Jubert est là, dans cette expression de l’inexprimable, dans ce « rendu » d’une réalité qui échappe à l’analyse. Verdun, c’est la bataille de l’infanterie, terrée, mitraillée, asphyxiée, et qui tient, qui tient toujours. C’est aussi la bataille des dévoués anonymes, des sacrifiés qui n’auront pas d’histoire, mais qui auront arrêté des canons avec des poitrines d’hommes ! Cette lutte à la fois indomptable et résignée, acharnée et lente, morne jusqu’à la détresse, exaltée jusqu’au sublime, dans la fange, parmi les trous d’obus, les décombres et les cadavres, les éclatements et les incendies, le sous-lieutenant de la 11e nous la rend présente avec une vérité si poignante que l’on doit, par moments, s’arrêter de cette lecture. Elle fait mal. De songer seulement que cela s’est passé ainsi, que des hommes ont traversé cet enfer, et pour nous, serre trop le cœur. Cette suite de chapitres détachés, sans