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voleurs du nom même de leur royaume, car, pour en parer leur Brandebourg et leur Berlin, c’est à deux petites provinces polonaises de la Baltique que le nom de Prusse avait été ravi. Bien plus, par une singulière insulte à la géographie, à l’histoire, à la justice, au bon sens, ce nom même, par le crime des néfastes traités de 1815, a encore été, — affront suprême ! — imposé depuis lors aux deux rives du Rhin !

Ah ! quelles heureuses perspectives d’avenir ce nouvel Empire, — si pacifique, — ouvrait à l’Europe ! « Il faut, déclarait un écrivain dont les publications et les idées obtenaient alors un éclatant succès, que pas un coup de canon ne puisse se tirer en Europe sans la permission du Kaiser[1]. »

Pendant les paroles de paix de M. de Moltke, au milieu du fracas des applaudissemens, l’un des représentans alsaciens-lorrains, M. Teutsch, député de Saverne, s’approcha sans bruit du bureau et remit au président un papier. Cet écrit contenait ces simples mots :

« Plaise au Reichstag de décider, que la population d’Alsace-Lorraine qui, sans avoir été consultée à ce sujet, fut, par le traité de paix de Francfort, annexée à, l’Empire d’Allemagne, soit appelée à se prononcer spécialement sur cette annexion. »

Ainsi, cette paix allemande, si désirable pour l’Europe entière, les Alsaciens et les Lorrains, — des aveugles, des ingrats, — se refusaient, quant à eux, à en accepter les bienfaits ! Et c’est sous la pression même des pacifiques baïonnettes prussiennes que, pour les premières élections politiques auxquelles ils fussent admis sous le régime allemand, ils venaient d’envoyer au Reichstag les quinze députés charges par eux de protester contre l’annexion dont ils avaient été victimes.

Cependant, sur ces propos de baïonnettes et de paix chers à M. de Moltke, continuait la séance ; lorsqu’elle se fut terminée, imposant concert germanique, sur des accords puissans et dominateurs, au moment de fixer l’ordre du jour pour la séance suivante, le président, avec une indifférence affectée et joignant intentionnellement la motion déposée par les Alsaciens-Lorrains à quelques questions de médiocre importance, déclara simplement :

« L’ordre du jour d’aujourd’hui étant épuisé, je propose de

  1. Gregor Samarow (Oscar Meding), dans le premier numéro de sa Revue : Le Miroir de l’Empire allemand. Cité par la Gazette de France, 9 janvier 1874.