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guerre de Sécession. Mars 1862 : « La guerre, épreuve des caractères… Payer de son argent, non de sa personne, cela peut ne pas suffire. Comment faire la guerre par souscription ? Ceux-là vaincront qui mettront la main à la baïonnette et, quittant leurs affaires, prendront une part active à la guerre : la guerre qui scrute les caractères, qui acquitte les hommes dont le réalisme paraît le sens du réel, l’honnêteté spontanée, la sincérité. La guerre requiert la force. Il importe moins d’être moral que d’être vrai, sincère, franc, audacieux. » Sur la fin de la guerre, au mois de mai 1865 : « La guerre actuelle a donné du prix à bien des existences qui en manquaient autrefois, par l’élan et l’expansion qu’elle leur a communiqués. Elle a dilaté et élargi chaque demeure et chaque cœur. Dans chaque maison, dans chaque boutique, on se mit à dérouler une carte d’Amérique ; et, maintenant qu’est de retour la paix, chaque citoyen se réveille parfaitement instruit de tout ce qui touche aux conditions, aux ressources et à l’avenir du continent. Résultat insigne, de voir que la guerre a fait entrer en tant d’esprits la conviction qu’il faut que justice se fasse et qu’elle a remplacé un désespoir chronique par une espérance du même genre. C’est ici la plus décisive des victoires, un résultat acquis. Et, quant à vos ennemis, je peux leur montrer que ce qui s’est accompli si parfaitement une fois peut, s’il le faut, s’accomplir de nouveau, encore mieux et plus vite ! » Mais où est donc le pacifisme d’Emerson ? Il a disparu. Il a disparu dans la guerre. Et cela est conforme à la philosophie d’Emerson, à cette urgente philosophie de l’action, qui nous commande de pratiquer à la rigueur le « devoir présent ; » qui de chacun de nos moments fait une gloire ; qui ne veut pas que le présent, notre vie incessante, soit la victime de l’avenir ou du passé. Non qu’il méprise le passé, où le présent a ses origines durables. Non qu’il méprise l’avenir : aucun moraliste n’a plus allègrement spéculé, avec plus d’espoir, sur les destinées de l’humanité. Mais le présent, tel que nous le subissons et le modifions, c’est l’étoffe même de la vie. Sacrifier le présent à l’avenir serait gaspiller tous les jours la vie et ne laisser à l’avenir qu’un bilan de néant. Or, si le présent c’est la guerre, soyons tout à la guerre. Voilà Emerson dans la guerre : et pareillement, je crois, l’Amérique. Sans préjudice de l’avenir ; au contraire ! l’avenir sera plus riche, du présent mieux vécu.

Au commencement de l’année 1862, l’Amérique souffrit des inconvénients de la guerre et de toute une gêne que résume le mot si bien connu de restrictions. Emerson écrit, le 1er janvier : « Le jour de