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un chiffre de pertes égal à celui des plus coûteuses années, soit 1 500 000 hommes, ils pouvaient, avec leurs moyens de recomplétement (2 000 000 d’hommes), joints à un prélèvement sur la classe 1921 (200 000 hommes), disposer d’une marge de sécurité de 700 000 hommes. Pour l’Entente, dans un avenir assez rapproché, s’offraient, il est vrai, les immenses ressources américaines. Mais il était imprudent de compter sur l’arrivée régulière des contingents alliés avant le printemps de 1918.

Au mois de mai 1917, les termes de la décision à prendre par le commandement étaient ceux-ci : pour le présent, supériorité numérique, mais infériorité matérielle des Alliés ; dans six mois, infériorité numérique et matérielle ; dans un an, infériorité numérique, mais amélioration matérielle. Après, on pourrait compter sur une augmentation constante des effectifs. Il fallait arriver à réaliser la soudure sous peine de courir au-devant de la catastrophe, si l’Allemagne, reprenant sa liberté, jetait toutes ses forces contre l’Entente. De telles préoccupations entrent mal dans l’idée que le public se fait du commandement qu’on imagine volontiers absorbé uniquement par des plans stratégiques. Mais dans une lutte qui intéresse la nation tout entière, il importe de s’informer des ressources de cette nation avant de former des projets. N’envisager que la gloire des armes, c’est méconnaître l’aspect véritable de cette guerre. La notion de la durée, qui n’entrait pas encore jusque-là dans nos esprits, bien que la décision reculât sine die d’année en année, s’imposait à nous cette fois avec force. Et ce n’était pas un des moindres enseignements de ces années d’expériences.

L’événement justifia ces prévisions. Le 20 décembre, l’armistice russo-allemand était signé, et, le 9 février, la paix de Brest-Litowsk. La presse allemande, dès l’armistice, annonça la reprise des opérations sur le front occidental. Fidèle à sa tactique, la diplomatie de nos ennemis organisait en même temps l’équivoque en adoptant un langage conciliant. Les troupes retirées du front tusse ne cessaient d’arriver en Belgique. On signalait des manœuvres importantes dans le Nord de la France. Il était visible Que les unités revenues du front oriental, énervées par une longue immobilité et par le contact d’une armée en décomposition, étaient remises à l’entraînement. En même temps, nous relevions les indices d’un renforcement de l’artillerie sur l’ensemble du front. Les batteries lourdes étaient