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cette diversité un ensemble peut-être moins harmonieux qu’ailleurs ; mais l’œuvre gagne d’autre part ce qu’elle perd eu homogénéité : on lui sait gré de nous représenter au naturel les débats, les tendances diverses d’un petit milieu d’artistes, et de nous offrir un tableau animé de la vie spirituelle dans un coin du moyen âge.

Voici d’abord dans le portail de Reims le groupe de figures qui est l’écho ou la réplique des figures d’Amiens ; la Vierge de l’Annonciation et celle de la Présentation au Temple sont les modèles achevés de cette école. Ce sont des œuvres qui ont peu de charme extérieur, et que le spectateur distrait serait tenté d’abord de trouver un peu pauvres : l’artiste procède avec une simplicité de plans, un effacement du modelé, une telle pudeur dans les ombres, une telle paix dans les lignes tombantes qu’on ne sait comment définir ce mystérieux dessin ; la gorge se soulève à peine sous la tunique ; les plis se creusent si insensiblement dans le manteau, les cheveux sont traités d’une manière si chaste, il y a dans toute la figure un tel renoncement, une telle absence de détail et de frivolité, que l’œil se sent déconcerté devant cette sorte de grisaille. Et pourtant, peu d’ouvrages donnent l’impression d’un art plus volontaire ; cette parcimonie de moyens produit la sensation de la qualité la plus rare. L’artiste, en écartant toute sensualité, parvient, à force de dénuement, à l’expression la plus intime. Le visage, tout uni, rustique, est celui d’une jeune paysanne de chez nous, d’une fille des champs comme la Pucelle : l’artiste a fait la Vierge d’une fleur de nos campagnes. On devine en lui une âme tendre et austère, un cœur religieux, ému, ami du vrai, porté à voir la poésie dans le réel et le merveilleux dans le sentiment, une sorte de Jean-François Millet du moyen âge, aussi consciencieux, aussi grave, et plus exempt de rhétorique que ne l’est l’auteur de l’Angélus. On chercherait en vain une Vierge plus touchante que cette humble figure.

La Vierge du trumeau respire un art tout différent ; c’est l’art de la Vierge dorée d’Amiens, un style qui séduit par un air de luxe et de gala. Toute la personne exhale la préciosité la plus fine, une nuance qui touche à la coquetterie. L’artiste lui a donné l’habit et le port d’une reine ; le manteau aux plis riches et nombreux découvre largement l’étoffe souple du blian qui enveloppe le buste ; une couronne épaisse charge la